Bien que le métier de policier consiste essentiellement à se faire haïr par la vaste majorité de la population, nos références actuelles tendent à nous faire porter sur les forces de l’ordre un regard bipolaire. Soit on les voit coller des prunes dans les parkings, soit on les imagine combattre le crime en s’échangeant des rafales ou en coursant des truands pied au plancher. Le policier japonais affronte les yakuzas au katana, la police américaine croule sous les tueurs en série, la police canadienne traque le crime à cheval, etc.
Nous avons tort, bien sûr, n’allons pas imaginer qu’il se passe dans la réalité la même chose qu’à la télé. Si vous êtes engagés dans la police, rien ne vous garantit votre quota « enquête – téléphone – donuts – poursuite – interpellation – retournement de situation – justice triomphante ». D’ailleurs vous n’êtes pas tant là pour la justice que pour la loi. Ce n’est pas pareil : la justice, c’est aider des opprimés et lire dans leurs yeux un intense mélange de joie et d’espoir. La loi, c’est convoquer les gens pour qu’ils viennent chercher leurs foutus commandements de payer au poste. Vous saisissez la nuance ?
Mais malgré toutes les difficultés que rencontrent nos vaillants et rigoureux gardiens de la paix, il ne faut pas croire non plus que chaque criminel est un parangon du Mal nécessitant soit le cerveau de Sherlock, soit la gnaque de l’inspecteur Harry pour l’envoyer au trou. Parfois, peut-être pour contrebalancer les jours où nos agents risquent leurs peaux, il arrive aux criminels de leur faire un bien aimable cadeau leur simplifiant sensiblement la tâche. Ce ne sont pas les moyens qui manquent :
Poursuites épiques
Dans les séries policières, lorsqu’un type qui n’a rien à se reprocher se fait appréhender par la police, une fois sur deux il détale ventre à terre en reversant des obstacles avant de se faire pincer comme une larve trente mètres plus loin. Dans la réalité, c’est parfois beaucoup plus con.
Tenez, par exemple : un beau jour, Manuel Munoz, citoyen du Nouveau Mexique, entreprend un cambriolage dans un entrepôt. Alertée, la police arrive sur les lieux et trouve notre héros en train de se cacher sous un bureau. Le voilà en route pour le poste.
Chemin faisant, il guette la moindre opportunité de substituer une soirée bière-télé à celle qui l’attend au poste et, à la première occasion, le voilà qui fausse compagnie à la police et pique le cent mètres de sa vie. Rapidement, il enfourche un vélo et à lui l’ivresse de la liberté !
D’ailleurs, à propos du vélo :
Dans sa fuite effrénée, notre téméraire canaille offrait à qui regardait vers lui la vision probablement déroutante d’un patibulaire colosse s’échinant à tirer le plus de vitesse possible d’un tout petit vélo rose à paillettes. Il existe une infinité de raisons de s’inquiéter d’un tel spectacle et la police, appelée de toute part, ne tarda pas à appréhender notre curieuse petite fille pour la faire monter dans sa camionnette.
Dans le même genre, Jamie Craft, sémillante jeune femme vivant dans l’état d’Arkansas, profitait d’un bel après-midi en sillonnant la ville au volant de sa voiture, ivre morte et sans pantalons. Arriva ce qui devait arriver, la demoiselle rata un contour et emboutit un mobile home.
Sa voiture ne démarre plus, la police s’approche, Jamie réfléchit autant qu’on peut réfléchir avec trois fois la limite autorisée d’alcool dans le sang. La réaction est en conséquence : elle cherche à échapper à la justice au volant de la voiture-jouet de son fils.
Des témoins décrivent une jolie jeune femme à moitié nue essayant tant bien que mal de tenir sur le petit engin dont elle faisait vrombir la batterie, taillant la route aussi vite que possible, à savoir pas très vite, et qui réagit très mal lorsque la police parvint malgré tout à l’appréhender (j’imagine en la doublant en marchant, hilare).
Et tant qu’on parle de délits de fuite, évoquons aussi l’histoire de Joseph Meacham, qui roulait fin pété dans les rues endormies de Saint-Louis. Rapidement pris en chasse et interpellé, le conducteur sort de son véhicule, repousse l’agent le plus proche et prend ses jambes à son cou.
Poursuivi par les policiers, Joseph se réfugie dans le bâtiment le plus proche : le commissariat central de St-Louis.
Il ne ralentit pas pour autant ; de sa méprise a résulté une course poursuite dantesque durant laquelle Running Joe fusait dans les couloirs avec de plus en plus de képis au train dans un vacarme assourdissant, changeant brusquement de direction à chaque fois qu’il repérait un policier.
Les témoins évoquent un oiseau paniqué coincé dans une halle, heurtant les gens et les murs dans une cacophonie de pas précipités, de cris, d’avertissements et d’appels. Des agents en nombre croissant se joignaient à la fête, bloquant les issues et cherchant à acculer leur frénétique proie. Précisons que la plupart des policiers n’avaient aucune idée des raisons de cette scène, de la dangerosité du bonhomme ou du crime qui lui était reproché.
J’aurais tellement aimé voir ça ! Si le paradis existe et que j’y suis admis, je demanderai à visionner les cassettes !
À terme, Meacham descendit le mauvais escalier et s’engouffra dans le mauvais couloir : pris dans un cul de sac, il se retourna et fit face à la cohorte d’agents avançant prudemment, prêts à en découdre. Heureusement, une sorte d’instinct de survie prit le dessus dans la tête du fugitif qui opta judicieusement pour un ctrl+alt+del de bon aloi : il se coucha au sol en position fœtale et c’en fut fini de son accès de folie.
Auto-dénonciation (plus ou moins)
Il vous est sans doute déjà arrivé d’appeler un ami involontairement parce que votre con de téléphone était dans votre poche et faisait n’importe-quoi. Sachez-le : certains criminels ont donné à ce type d’incidents une dimension inouïe.
Nathan T. et Carson R. peuvent vous en parler, aux heures des visites. Nos deux fripouilles de vingt ans étaient en effet tranquillement en train de voler une voiture lorsque le téléphone portable de l’un d’entre eux, rangé dans sa poche arrière, composa complètement par hasard le numéro 911, et l’histoire se déroule bien sûr aux States, où ce numéro mène à la police. L’opératrice qui saisit l’appel s’étonna d’entendre des voix qui n’étaient clairement pas dirigées vers l’appareil, mais demeura bien sûr à l’écoute, suspectant qu’un finaud avait besoin d’aide et s’arrangeait pour le faire savoir discrètement.
Tendant l’oreille, les policiers entendirent des bruits de verre brisé, de conversation en rapport avec diverses drogues, des tuyaux pour voler certains types de voitures, des détails concernant la revente des véhicules et probablement la vérité sur le onze septembre.
Les policiers ne mirent pas long, grâce à des détails de la conversation, à deviner où les trouver et envoyèrent une voiture les prendre en chasse. Ils entendirent même les jeunes commencer à flipper lorsqu’elle leur colla au train.
Une fois la lumière faite sur l’exceptionnelle célérité de la police, l’un des deux types eut les mots pour l’Histoire : « We really called 911 ? Damn ! »
Je n’aurais pas dit mieux mec !
Et là c’est la version pour enfants, avec deux djeun’z pas si méchants qui voulaient juste se faire un peu de blé et fumer des grillets, mais n’allez pas croire que ça n’arrive jamais aux caïds ; un dénommé Scott Simon se trouva appeler la police de la même manière précisément pendant qu’il planifiait un assassinat, qui fut commis peu après par un complice. Il fut bien entendu arrêté droit derrière. Trop tard quand même, vous me direz. Certes.
Auto-dénonciation (totalement)
En 2004, un meurtre aussi brutal que difficile à élucider eut lieu dans une petite ville de Californie. Bien qu’il était écrit « guerre des gangs » partout sur l’affaire, trouver le responsable s’annonçait plus que délicat.
Il s’agissait de l’assassinat d’un « gangsta » devant un magasin de boissons, abattu de plusieurs balles dans le corps. Pendant quatre ans, la justice piétina. Si le gang rival impliqué ne faisait aucun doute, un nom ainsi que des preuves manquaient à l’enquête.
Et puis un beau jour, il fut décidé de prendre en photo les tatouages des membres des gangs de passage au poste. Arrêté pour une infraction mineure au code de la route, Anthony Garcia éveilla l’attention des enquêteurs puisque son torse était entièrement recouvert d’une reconstitution du meurtre en question.
Certes, un hélicoptère-cartoon qui descend un homme-cacahuète n’est pas totalement représentatif de ce qui s’était réellement passé, mais lorsqu’on sait que le surnom de Garcia était « Chopper » (hélico) et que son gang appelait celui de la victime « the Peanuts » (cacahuètes), les pièces s’emboîtent d’elles-mêmes ; en outre, des détails pointus étaient représentés, allant jusqu’à imiter la police de caractère de l’enseigne du magasin, le panneau de la rue, le type de lampadaires, le nombre de personnes présentes sur la scène, l’endroit où ils se tenaient et même la direction dans laquelle les balles avaient été tirées.
Le résultat était si précis qu’il suffit aux enquêteurs de le regarder pour comprendre les derniers détails qui leur avaient échappé.
Le terrorisme, ce n’est pas si facile
Lorsque Faisal Shahzad revint du Pakistan aux Etats-Unis en 2010, il avait bien l’intention de tout faire péter et de terroriser à fond les ballons, parce qu’il faisait partie de ces gens qui lisent le Coran, ne captent rien du tout et disent « hey, Dieu y dit que c’est ok de tuer des gens ! »
Surtout, le bonhomme n’était pas un cador en explosifs. Selon certaines sources, l’effort international fourni pour contrer les terroristes pousse ces derniers à recruter un peu n’importe où n’importe comment et n’ont pas toujours le loisir de former leurs jeunes soldats correctement à l’art complexe de tuer le plus d’innocents possible pour faire plaisir à un dieu d’amour.
Donc Shahzad s’en alla garer sa voiture à Time Square non sans l’avoir préalablement gavée de feux d’artifice, de propane, d’essence et de fertilisants, puis il contempla son œuvre et la trouva belle. Et lorsque l’emblématique place babylonienne fut emplie de chiens d’infidèles tout occupés à insulter le Prophète, le bourreau de Dieu accomplit son devoir, appuya sur le petit bouton rouge et une assourdissante explosion ne résonna pas du tout. Par contre, la voiture se mit à fumer suspicieusement.
N’étant pas un expert, je ne peux pas vous dire précisément où ça a merdé, mais mon hypothèse est que Shahzad a commis les erreurs que j’aurais moi-même commises si j’avais été à sa place. Ça n’est certainement pas si facile de terroriser. Je pense par exemple que contrairement à ce qu’on vous dit dans Fight Club, si vous mélangez de l’essence avec du jus d’oranges congelé, ou un truc du genre, vous n’obtenez pas de napalm. Il doit manquer quelque chose, on vit dans un monde trop con pour que le cinéma donne gratos la recette d’armes de destruction massive à son public.
Donc je ne sais pas exactement ce qui s’est passé, mais à ce que j’ai lu Faisal ignorait qu’il fallait mélanger le fertilisant avec un autre machin et espérait que la combinaison de ses explosifs-maison et de sa foi pure et sincère allait déclencher une réaction en chaîne entre les composantes (dont certaines sont spécialement étudiées pour éviter les réactions en chaîne).
Dans la voiture fumante rapidement inspectée et sécurisée, les enquêteurs trouvèrent les clés toujours sur le contact, avec sur le même trousseau la clé du domicile de son propriétaire. Dès lors, ce fut pour la police un jeu d’enfant d’identifier notre terroriste à la petite semaine et d’émettre un ordre d’arrêt, le mettant sur liste noire afin d’éviter qu’il se taille en avion.
Ainsi, jeux jours après l’incident, Faisal fut appréhendé et arrêté… au dernier moment, dans un avion sur le point de partir pour Dubaï. Cette histoire inclut beaucoup d’amateurisme.