Archives de mars, 2015

L’enfance est une période de la vie au cours de laquelle la plupart des adultes vont vous aimer sans condition, ensuite de quoi vous entrez dans l’adolescence et ça devient exactement l’inverse.

Ce qui importe peu, étant donné que vous arrêtez de les écouter.

Ce qui importe peu, étant donné que vous arrêtez de les écouter.

Dès lors, il est important d’inculquer aux petiots quelques notions des rigueurs de l’existence qui les attend, afin de leur éviter autant que possible d’avoir à les apprendre à la dure. Pour ce faire, on aura recours à quelques leçons teintées d’empathie et de pédagogie, on tâchera de trouver les mots pour les sensibiliser.

C’est certainement l’une des tâches les plus ardues des enseignants ; or, s’il est une chose que j’ai apprise sur ces gens en fréquentant tout le monde sauf eux, c’est qu’ils n’ont pas le droit de se plaindre parce qu’ils ont plus de vacances que les autres corps de métiers. J’ai entendu cet argument au moins dix fois, mais soyons honnêtes : l’enseignement est un métier difficile. Un enfant seul est mignon et inoffensif, mais lorsque vous en regroupez plusieurs, vous obtenez une force apte à dissoudre en un rien de temps le plus robuste des adultes.

C'est pour ça qu'on les compare si souvent aux piranhas.

C’est pour ça qu’on les compare si souvent aux piranhas.

Alors comment s’y prend-on pour faire comprendre aux petits monstres qu’un jour la société leur sera presque aussi cruelle qu’ils le sont aujourd’hui entre eux ? Et bien chaque enseignant a sa méthode, et c’est là que ça peut devenir très, très moche.

Parce que finalement, c’est comme tout : il y a des extrêmes. Vous avez ceux qui s’en tiennent à des mises en garde théoriques et ceux qui croient à la pratique, qui estiment qu’il n’y a qu’avec un scorpion dans les sous-vêtements que l’on peut réaliser à quel point la vie est mieux sans scorpion dans les sous-vêtements.

Ce qui, comme vous l’imaginez, pose encore plus problème lorsque cela concerne les enfants.

Leçon numéro 1 : la nature est cruelle

Notre histoire se déroule à la Plant City High School, en Floride, et commence de la plus belle des manières, avec la naissance d’une portée de bébés lapins tout mignons.

Un internaute se doit de saisir chaque occasion d'entrer « bébé lapin » sur Google Image.

Un internaute se doit de saisir chaque occasion d’entrer « bébé lapin » sur Google Image.

Tout se passa bien au début et la famille Jeannot fit le bonheur d’une classe d’ados, mais après deux jours la bonne humeur retomba lorsqu’il ne fit plus aucun doute qu’une paire de malheureux lapereaux étaient délaissés par leur mère. C’est là que Jane Bender, enseignant l’agriculture dans cette école depuis près de trente ans, entre en scène, avec sa pelle.

Jane saisit la balle au bond : pour elle, c’est une belle opportunité de montrer à ses élèves que la nature ne fait pas de cadeaux ; creusant un trou quelque part, elle ordonne aux enfants d’y enterrer les animaux condamnés. Les élèves n’auraient pas été plus terrifiés si elle avait commencé à creuser leurs propres tombes, ils paniquent, proposent de nourrir les lapereaux au biberon, chose qui, convenons-en, paraît plus sensée que pousser des enfants à enterrer des petits animaux vivants. Refus. Les élèves n’en démordent pas : pour je ne sais quelle raison, aucun ne se porte volontaire pour boucher le trou.

J'aurais pourtant pensé que toutes les classes au monde comptaient au moins un jeune psycho qui serait ravi qu'on lui donne le droit d'enterrer des animaux vivants.

J’aurais pourtant pensé que toutes les classes au monde comptaient au moins un jeune psycho qui serait ravi qu’on lui donne le droit d’enterrer des animaux vivants.

Colère, Mme Bender achève les petites bêtes à coups de pelle pendant que les enfants épouvantés supplient, éclatent en sanglots, tremblent comme des feuilles ou vomissent. Mais la leçon a porté : ils se souviendront toute leur vie que la nature peut être cruelle, surtout lorsqu’elle inclut de rudes enseignantes d’agriculture.

Lorsque plus tard les petits racontèrent leur journée à leurs parents, ces derniers adressèrent leurs plaintes à l’école et Jane Bender fut inculpée pour cruauté envers les animaux. Honnêtement, je dirais qu’elle a été plus cruelle envers les enfants que les animaux, mais bon, on ne va pas l’accabler non plus ; elle-même admet avoir pris une mauvaise décision ce jour-là, et il est permis d’espérer que plus jamais elle ne forcera d’enfants à assister à ses mises à mort d’animaux sans défense.

Leçon numéro 2 : les fusillades dans les écoles, ça arrive

Murfreesboro, Tennessee, des enseignants et un assistant principal décident de planifier à l’attention de leurs élèves une bonne blague qui serait dans le même temps une leçon éducative et un exercice de sécurité.

Ainsi que le début d'une longue succession de cauchemars pour les années à venir.

Ainsi que le début d’une longue succession de cauchemars pour les années à venir.

Au terme d’un camp d’école, alors que les élèves de dix à douze ans étaient rentrés d’une excursion nocturne et s’apprêtaient à se coucher en vue du retour planifié au lendemain, leurs accompagnants firent le tour des dortoirs en expliquant qu’une fusillade avait éclaté dans les environs et que le tireur était actuellement en liberté, probablement dans le périmètre. Il fut ordonné aux enfants de se cacher sous les lits et les meubles de leurs chambres, lumières éteintes, volets clos et portes verrouillées, le temps que le danger soit écarté.

D’interminables minutes s’égrainèrent ainsi, dans un silence uniquement troublé par les sanglots des enfants, les bips de leurs portables tandis qu’ils écrivaient à leurs parents et les poignées des portes frénétiquement activées par un enseignant rôdant dans les couloirs pour ajouter une petite dose d’ambiance.

Dans le même ordre d'idée, séquestrer un enfant trois jours dans une cave devrait le dissuader de monter dans une voiture inconnue.

Dans le même ordre d’idée, séquestrer un enfant trois jours dans une cave devrait le dissuader de monter dans une voiture inconnue.

Rapidement, les organisateurs mirent fin au canular et expliquèrent aux enfants blêmes de terreur qu’il n’y avait pas de fou dans le périmètre à part eux ; ensuite de quoi ils leur firent un petit topo sur ce qui se serait passé si la situation avait été réelle avant de leur souhaiter une bonne nuit.

Cependant, vous apprendrez que la blague ne fut pas du goût de tout le monde, à plus forte raison que cette histoire se déroula à peine un mois après la terrible fusillade de Virginia Tech qui avait fait trente-trois victimes. Aussi, les parents se trouvèrent devant une question importante : que fait-on lorsque l’on réalise que les esprits malléables de nos enfants sont confiés aux bons soins de personnes manifestement totalement dépourvues de sens commun ?

À terme, les dirigeants de l’école organisèrent une séance probablement houleuse au cours de laquelle ils expliquèrent leurs intentions premières aux parents et s’en excusèrent, reconnaissant que leurs éducateurs avaient émis un « mauvais jugement ».

Vous savez, un peu comme le capitaine du Costa Concordia.

Leçon numéro 3 : ceci est mon sang

La petite enfance consiste à découvrir petit à petit les mystères de l’existence et à poser des questions embarrassantes aux parents. Tout n’est que nouveautés et expériences, il ne se déroule pas une journée sans qu’en soit retiré un riche enseignement.

Par exemple, le petit Hugo ici à l'image vient de découvrir que le fils du voisin est un affreux.

Par exemple, le petit Hugo ici à l’image vient de découvrir que le fils du voisin est un affreux.

Bien sûr, il convient d’apporter aux enfants les réponses à leurs innombrables questions, ce qui n’est pas toujours facile. Lorsque, par exemple, votre petiot entend aux nouvelles qu’un grave délit à caractère sexuel s’est déroulé dans le canton du Valais, il faut bien prendre sur vous et lui expliquer ce qu’est le Valais.

Aussi, lorsque des enfants de trois à six ans manifestèrent leur curiosité sur la question du sang dans une garderie en Norvège, une éducatrice prit sur elle et se pointa le lendemain avec un tube contenant un échantillon de sa propre hémoglobine.

Il ne faut pas contrarier la curiosité de nos cadets.

Encore un mardi banal dans une école norvégienne

C’est ainsi que les élèves d’une classe de tout petits se retrouvèrent à jouer avec le sang de leur enseignante, se passant l’échantillon, touchant et même, dans un cas, goûtant.

Heureusement sans conséquence.

Heureusement sans conséquence.

Vous voyez, c’est exactement pour ce genre d’histoires qu’on répète à tout bout de champ qu’il ne faut pas confondre pré-scolarité et cinéma d’épouvante ; sitôt prévenus, les parents, horrifiés, exigèrent de la direction que désormais, les cours n’impliquent aucun fluide corporel de quelque sorte que ce soit, chose qu’ils n’avaient pas pensé à demander avant d’inscrire leurs enfants. Ces gens sont irresponsables.

Quant aux jeunes, ils en furent quittes pour quelques tests médicaux tandis que l’éducatrice s’en allait pointer au chômage.

Leçon numéro 4 : il faut écouter en classe

Un adolescent, c’est plus ou moins un enfant qui a cessé d’être curieux. Dans son vocabulaire, le mot « pourquoi » a été remplacé par « j’m’en fous » et il n’existe aucun moyen légal de l’intéresser à quoi que ce soit qui sorte de son champ d’intérêts.

Et comme les systèmes éducatifs n’ont pas – encore – décidé que la musique, la télé et le sexe seraient désormais les seules matières au programme des élèves de dernière année, les enseignants se retrouvent avec la tâche herculéenne de maintenir un niveau de concentration acceptable au sein d’une bande de petits démons imprévisibles.

« Aujourd'hui nous allons reprendre l'analyse de

« Aujourd’hui nous allons reprendre l’analyse de « I like big butts », ensuite de quoi nous parlerons des alcopops. »

Manueal Ernest Dillow, enseignant de Virginie âgé de 61 ans, avait son idée sur la question. Un beau jour d’avril 2012, alors que ses élèves s’étaient fondus en un magma de bruit et de fureur comme à leur habitude, il poussa sa gueulante et ordonna aux ados de se lever et de se placer en file indienne ; une fois ceci fait, il se plaça devant eux, dégaina promptement un pistolet chargé à blanc et en vida le chargeur en pointant l’arme sur les enfants.

Aussitôt, bien entendu, la salle de classe prit des allures de volière perturbée par l’irruption d’un renard ; les élèves plongèrent de tous les côtés dans une cacophonie indescriptible, s’abritant les uns derrière les autres, se bousculant et renversant les tables avant de constater que personne n’était blessé et, j’imagine, accorder leur entière et complète attention à leur digne mentor jusqu’à la fin du cours.

Toutefois, faut-il le préciser, les choses n’en restèrent pas là. Pour quelque raison, vider une arme, même factice, sur un enfant est un acte encore mal perçu aux États-Unis. Dillow plaida coupable et fut suspendu pour cinq ans. À son âge, j’imagine que la sentence équivaut à un souhait de bonne retraite.

Leçon numéro 5 : l’holocauste, c’est mal

Il y a des choses qu’il faut expérimenter soi-même pour en saisir la signification, des difficultés ou des épreuves dont la pleine portée n’apparaît pas tant qu’on n’y a pas été mêlé. L’holocauste n’en fait pas partie.

Honnêtement, fourrer des millions de gens dans des wagons à bestiaux et les acheminer vers une mort violente pour des crimes qu’ils n’ont pas commis n’est pas exactement un acte anodin dont l’inhumanité nous échappe. Ce n’est du reste pas pour rien si notre société ne jauge le Mal qu’à l’aulne des nazis.

Dès lors, si l’on peut applaudir la volonté de certaines écoles de mettre à leur programme les tristes leçons de cette sinistre période de l’Histoire, on signalera quand même qu’il n’est pas nécessaire d’en faire des caisses : ils comprendront. Ils ne sont pas stupides.

« Allez les jeunes, juste quelques petites heures de voyage, comme ça vous saurez ! »

« Allez les jeunes, juste quelques petites heures de voyage, comme ça vous saurez ! »

Manifestement, ce n’est pas l’avis d’une école d’Apopka, en Floride. Pour sensibiliser les élèves aux horreurs de la solution finale, la direction de l’établissement décida d’instaurer une « Journée de l’Holocauste » au cours de laquelle certains élèves se verraient remettre une étoile jaune à arborer. Tout le jour durant, ils seraient traités à part, forcés à se tenir debout au fond des classes ou interdits d’accès à certaines fontaines à eau, apparemment parce que ça se passait exactement comme ça dans les camps.

Un des élèves rapporte qu’un membre du personnel l’a forcé à refaire quatre fois d’affilée la queue à la cafétéria pour avoir son repas. Lorsque son père lui demanda à son retour pourquoi il pleurait, il répondit que c’était parce qu’on l’avait forcé à être un Juif. C’est du reste la leçon qu’il dira avoir retenue de la journée : il ne voulait pas être juif. Vous voyez, ça rentre !

Lorsque des dizaines de parents atterrés contactèrent les membres du personnel de l’école pour leur demander s’ils n’étaient pas un peu cons, ceux-ci s’excusèrent et promirent de faire les choses différemment à l’avenir. Ils ne furent pas inquiétés plus que ça, mais comme ils passèrent pour des idiots dans tout le pays, on peut espérer qu’ils auront retenu leur leçon, puisqu’ils semblent si portés sur l’importance du vécu.

Quant à la communauté juive locale, elle déclara que si elle remerciait l’établissement de chercher à sensibiliser ses élèves à la question de l’Holocauste, elle n’encourageait pas les enseignants à mettre en pratique des travaux de simulation. Et personnellement, je pense qu’on serait en droit d’espérer qu’une telle idée aille de soi pour des enseignants à qui l’on confie une partie de l’éducation de nos enfants.

La rapide évolution de l’humanité vous vaut de lire ce blog depuis votre smartphone en reliant Oslo à Seattle là où vos grands-parents frottaient frénétiquement des bouts de bois pour allumer un feu propre à effrayer les loups rôdant aux abords de la caverne ; certes, il apparaît que nous avons perdu au fil du temps quelques-uns des enseignements de nos ancêtres, en témoignent nombre de merveilles antiques dont certains fonctionnements nous échappent ; mais ne nous leurrons pas : nous avons perdu ces connaissances parce qu’objectivement, elles ne nous servaient plus à rien. Si la survie de notre espèce dépendait de la construction d’une nouvelle pyramide de Khéops (c’est un exemple plausible), elle embellirait l’horizon avant la fin de la semaine.

Sauf si on devait la faire en Suisse, à cause des référendums.

Sauf si on devait la faire en Suisse, à cause des référendums.

Cela dit, avec un minimum d’honnêteté, nous devons reconnaître que nos prédécesseurs détenaient bien plus de secrets qu’on ne pourrait le croire de prime abord ; certains ont laissé derrière eux des ouvrages face auxquels les plus brillants cerveaux de notre temps sont restés pantois avant d’aller pleurer leur foi perdue et sombrer dans une bouteille au fond de quelque sordide rade des bas quartiers.

Les pierres sphériques du Costa Rica

Dans le milieu des années 30, des ouvriers costariciens défrichant des zones forestières découvrent des dizaines de pierres parfaitement rondes, d’une taille variant entre quelques centimètres de diamètre et plus de deux mètres ; nombreuses, éparses, elles sont posées dans la jungle, tranquilles, certaines disparaissant presque sous la végétation, d’autres cachées au fond des rivières.

Vivant parfois en colonies.

Vivant parfois en colonies.

Ni une ni deux, les ouvriers, face à ces témoignages troublants d’un passé oublié, commencèrent à les faire sauter à la dynamite en espérant y trouver de l’or ou des trésors avant que le gouvernement n’y mette le holà. Par la suite, la communauté scientifique se pencha sur la question mais buta contre plusieurs énigmes. L’éloignement des matières premières (trouvables à une petite centaine de kilomètres des sites), les outils employés, la façon dont on les a transportées, le but de la manœuvre, l’âge exact des sculptures ou encore le peuple qui les avait façonnées étaient autant de mystères qui valurent aux experts de hausser les épaules et à l’imaginaire collectif de prendre le relais. Voici quelques théories trouvées ça et là sur internet :

  • les pierres ont été sculptées par les dieux antiques, ces formidables ancêtres géants des humains qui peuplaient la planète il y a des temps immémoriaux et que la science continue à ignorer pour des raisons troubles.

  • Elles furent placées là par les mêmes bâtisseurs qui édifièrent les pyramides de Bosnie (on y viendra), la preuve étant qu’on a aussi trouvé une sphère de pierre en Bosnie.

Parce que voyez-vous, sculpter des pierres pour les déplacer ensuite de plusieurs kilomètres n'aurait aucun sens. Par contre, leur faire traverser l'Atlantique pour les larguer en pleine jungle...

Parce que voyez-vous, sculpter des pierres pour les déplacer ensuite de plusieurs kilomètres n’aurait aucun sens. Par contre, leur faire traverser l’Atlantique pour les larguer en pleine jungle…

  • Elles proviennent de Mars, car la roche qui les compose est trouvable en abondance sur la planète rouge. Je ne sais pas si c’est vrai, mais dans tous les cas ladite roche est également très répandue au Costa Rica, ce qui devrait entrer en considération, je trouve.

  • Elles datent de l’âge de pierre, ce qui soulève des questions fascinantes sur les outils employés. Ou alors elles sont plus récentes que ça et l’âge de pierre est à nouveau barbant. Nous ne voulons pas ça.

  • Les sphères seraient des bulles en pression (écoutez, je ne fais que retranscrire ce que je lis, ok ?).

  • Elles seraient d’origine grecque, car très proches des outils employés par ces derniers pour l’astronomie.

Les grecs étaient des pointures en astronomie malgré des moyens rudimentaires.

Les grecs étaient des pointures en astronomie malgré des moyens rudimentaires.

  • Elles servaient de monnaie.

  • À leur emplacement initial, elles formaient un gigantesque planétarium.

  • Elles proviennent des Atlantes et servaient entre autres d’outils de navigation.

Malheureusement, la réalité se trouve souvent un petit cran en dessous des fantasmes, surtout lorsque ces derniers sont aussi délirants (de la monnaie ??). Au fil des recherches et des années, on exhuma d’autres pierres, des restes de villages, des outils et même des gisements de matière première situés à une petite dizaine de kilomètres au maximum desdits villages. À terme, on peut attribuer ces œuvres à un peuple appelé les Diquis, qui faisaient partie de ces petites communautés vivant dans l’ombre des cadors comme les Mayas, les Incas ou les Aztèques avant que l’Espagne ne vienne montrer qui était le patron.

Ils employaient des roches volcaniques qu’ils soumettaient à d’importants changements de température, ce qui effritait leur surface et leur permettait d’obtenir une forme déjà plus ou moins sphérique, qu’ils peaufinaient ensuite à la main, avant de transporter le résultat final allez savoir comment. C’était certes un travail de titan, seulement ça n’avait rien à voir avec, vous savez, les vrais titans.

La machine d’Anticythère

En 1901, des plongeurs d’éponges découvrent une épave de galère romaine près des côtes grecques et en remontent un curieux objet :

Ils étaient tous d'accord sur le fait que ce n'était pas une éponge.

Ils étaient tous d’accord sur le fait que ce n’était pas une éponge.

La communauté scientifique se retrousse les manches et consacre les grands moyens à l’étude de cette fascinante découverte ; après d’intenses recherches, savants et experts peuvent affirmer que l’objet est probablement d’origine grecque, appuyant leurs propos sur les quelques caractères de grec ancien encore discernables sur l’appareil (ça n’a pas l’air si compliqué, la recherche).

Pour le reste, ils étaient plus ou moins largués ; ils émirent l’hypothèse que l’objet avait été conçu à des fins d’astronomie mais séchaient autant devant son fonctionnement que son inventeur. La galère ayant sombré entre 80 et 60 avant notre ère, ils estimèrent un peu au bol que l’appareil devait plus ou moins dater de cette époque. Bref, si vous et moi en avions discuté devant une bière, nous serions arrivés aux mêmes résultats que la Science.

Pourtant ça paraît facile.

Pourtant ça paraît facile.

La grande question qui se posait concernait la finesse de la machinerie : pour trouver des mécanismes comparables, c’est en Chine et en Arabie qu’il faut chercher, et mille ans plus tard. Aussi, le débat resta ouvert. Et puis, avec le temps et la technologie, on arriva à des réponses un peu plus concrètes, et on commença par reculer encore un peu l’époque de conception de la machine d’Anticythère : selon les dernières analyses, elle aurait été confectionnée en -205. Cela paraît encore plus invraisemblable, mais après tout, la Grèce venait de connaître un certain Archimède, alors pourquoi pas. Quant à son but, c’était bien l’astronomie : les navigateurs s’en servaient pour prédire des éclipses lunaires ou solaires, ou pour calculer la position des astres.

Pour ce faire, ils liaient cet appareil à une pierre sphérique du Costa Rica et le tour était joué.

Pour ce faire, ils liaient cet appareil à une pierre sphérique du Costa Rica et le tour était joué.

Le manuscrit de Voynich

Le manuscrit de Voynich est un codex de plus de 200 pages rédigé durant la première moitié du quinzième siècle sur un vélin de grande qualité et parsemé de nombreuses illustrations en couleur. Oh, et on n’a pas la moindre idée de ce qu’il raconte puisqu’il est rédigé dans un langage absolument inconnu.

En effet, il se trouve que chaque page de ce volumineux manuscrit est recouverte d’un charabia incompréhensible et de dessins pas franchement plus clairs.

Une idée ?

Une idée ?

À l’heure actuelle, les plus brillants linguistes de la Voie Lactée se sont cassés les dents dessus sans parvenir à en traduire un seul mot, à tel point que pendant quelques temps la piste du canular fut privilégiée. Et lorsque des savants sont prêts à croire qu’un clown médiéval a consacré un temps et des moyens monstrueux à monter un flan cinq étoiles pour troller les scientifiques du futur, ça montre bien à quel point ils sèchent.

Et même ça, on le leur à pris, aux pauvres linguistes : une analyse mathématique des caractères et des phrases a permis de déceler une structure logique proche des langages européens dans la construction du texte. En gros, on ne comprend toujours rien, mais on devine comment ça marche. Si je devais émettre une hypothèse, je dirais que le manuscrit renferme des conseils pour rendre des scientifiques malheureux.

De même que des schémas sur une version médiévale et érotique de la queue-leu-leu.

De même que des schémas sur une version médiévale et érotique de la queue-leu-leu.

Les illustrations aidant (il y en a des moins nébuleuses que celle ci-dessus), on a tout de même pu déterminer que le manuscrit traite entre autres de médecine, d’alchimie, d’herboristerie et d’astronomie, encore que les plantes dessinées sont rarement identifiables. Aussi, il ne fait aucun doute que le volume est de confection européenne. Quant au texte en lui-même, on penche aujourd’hui pour un langage codé.

Les chercheurs ont également parcouru les correspondances des anciens propriétaires du manuscrit, espérant obtenir des réponses ; la plus ancienne trace écrite qu’ils trouvèrent date du milieu du dix-septième siècle, où le codex est mentionné par des chercheurs qui se posaient exactement les mêmes questions qu’aujourd’hui, et penchaient pour un langage codé ou un canular. Quatre siècles plus tard, on en est toujours à la même page – littéralement. Bien joué, science !

Le manuscrit était très exactement aussi absurde au moyen-âge qu'aujourd'hui.

Le manuscrit était très exactement aussi absurde au moyen-âge qu’aujourd’hui.

Les pyramides de Bosnie

Cette rubrique ne devrait pas figurer dans cet article, mais j’ai tellement entendu parler de ces pyramides que j’ai voulu creuser. Depuis quelques temps, certains affirment que nous sommes à deux doigts de réaliser une découverte stupéfiante propre à nous faire reconsidérer tout ce que l’on croyait savoir sur notre passé : des restes d’une civilisation formidablement ancienne ont été découverts en Bosnie, dans la vallée de Visoko. Notamment, des pyramides. Voyez plutôt :

On admettra qu'il y a de quoi se poser des questions.

On admettra qu’il y a de quoi se poser des questions.

Personnellement, j’opte vite pour le scepticisme devant des révélations de ce genre, surtout lorsqu’elles incluent des pyramides – les gens font un foin pas possible sur les pyramides – mais après tout, il y a tant de choses qu’on ignore ; finalement, il n’est pas inimaginable que quelque chose de gros nous soit passé sous le nez. Donc j’ai bouffé une quantité invraisemblable d’articles dont je vais vous faire un petit topo.

En 2005, un archéologue amateur du nom de Semir Osmanagic s’est intéressé au site en question et voulut y entreprendre des fouilles, sans parvenir à obtenir un financement de la part des instances officielles. Aussi dût-il faire appel à d’enthousiastes volontaires, tant pour l’aider sur place que pour financer ses recherches. Depuis, régulièrement, les nouvelles de leurs découvertes sont publiées sur nombre de pages internet, mais plutôt « complot-mondial.com » ou « mystères-des-étoiles.org » que « British Museum ». Voici quelques-unes des merveilles qui furent exhumées et que le monde persiste injustement à ignorer :

  • Cinq pyramides s’élèvent dans la vallée, la plus haute d’entre elle dépassant d’un gros tiers la taille de la pyramide de Khéops.

  • Un dédale souterrain gigantesque (d’aucuns diraient cyclopéen) aux immenses dalles de céramique relient entre eux les cinq édifices.

  • Les structures sont composées de vastes blocs d’un béton largement plus solide que celui que nous employons de nos jours. Une datation au carbone 14 renvoie leur construction à 25’000 ans dans le passé.

En pleine ère glaciaire, donc. Ah, et la datation au carbone 14 n'est pas praticable sur les pierres.

En pleine ère glaciaire, donc. Ah, et la datation au carbone 14 n’est pas praticable sur les pierres.

  • De vastes bassins contiennent une eau plus pure que tout ce que nous connaissons, dont les propriétés presque miraculeuses pourraient soigner toutes les maladies connues.

  • Un parchemin vieux de 25’000 ans, rédigé dans un alphabet proche de celui qui serait employé plus tard par les peuples d’Europe de l’Est, a été trouvé sous la plus grande des pyramides. Le message est le suivant : « la porte est fermée. Nous sommes bloqués. Nous allons devoir nous battre pour nous défendre et pour attaquer, jusqu’à ce que nous ayons à nouveau l’opportunité de passer par la porte des étoiles. »

The way is shut.

The way is shut.

  • Etc.

La théorie officielle, quant à elle, soutient que ces pyramides sont de formation tout simplement naturelle, de même que les fameux blocs de béton qui la composent, et qu’Osmanagic est en train de foutre en l’air des vestiges médiévaux en creusant dans les alentours. Une pétition a du reste été adressée au gouvernement bosniaque par les milieux archéologiques pour demander de faire cesser les fouilles.

Bien sûr, en face, on crie à la politique de l’autruche et l’on accuse les archéologues de vouloir étouffer l’affaire pour ne pas avoir à reconsidérer leurs théories actuelles sur le passé de notre espèce (il est bien connu que les archéologues détestent l’archéologie).

« Vous savez quoi les gars ? C'est trop de boulot, oublions ça. »

« Vous savez quoi les gars ? C’est trop de boulot, oublions ça. »

Il existe une autre hypothèse concernant le silence entourant ces découvertes : les pyramides de Bosnie, comme toutes les pyramides antiques, étaient capables de créer de l’énergie propre en abondance, en absorbant la force du Soleil ou quelque chose approchant.

Comme ça.

Comme ça.

Sauf qu’en Bosnie, le générateur fonctionne toujours. Du coup, les affreux lobbies en énergie pas propre maintiennent le monde dans l’ignorance pour ne pas altérer leurs profits.

Et vous savez que je suis totalement pour jeter des pierres aux méchants lobbies, mais il ne faut pas déconner tout de même ; certes, les grands fournisseurs d’énergie seraient sans doute prêts à tout pour préserver leurs intérêts, mais ces histoires de pyramides sont un gigantesque et ridicule fourre-tout renfermant à peu près tous les fantasmes classiques des conspirationnistes, allant des théories sur la mémoire de l’eau aux portails spatiaux en passant par les Atlantes et les générateurs énergétiques.

Quant à Semir Osmanagic, peut-être n’est-il pas inutile de souligner qu’outre ses travaux sur les pyramides de Bosnie, il a également mené des recherches en Amérique Centrale dont il a tiré des certitudes sur les origines atlantes des Mayas, les pouvoirs des crânes de cristal, les contacts antiques avec des extraterrestres, les bouleversements que provoquerait le 21 décembre 2012 et même le fait qu’Hitler et ses suivants auraient fini leurs jours dans une base secrète en Antarctique.

Alors finalement, entre la théorie de la civilisation stellaire qui maîtrisait toutes les technologies de nos fictions et celle de l’origine naturelle, je pense que l’origine naturelle l’emporte. De loin. J’irai même jusqu’à dire que ça serait pareil avec Stonehenge.

Ou alors, peut-être que les aliens-atlantes ont voyagé dans un univers parallèle, en sont revenus avec le manuscrit de Voynich et se sont rendus au quinzième siècle avec une machine à remonter le temps pour le remettre aux Terriens, afin de leur faire une blague. Ensuite ils ont continué à faire les malins avec leur machine jusqu'à ce qu'elle leur pète à la gueule au large de la Grèce antique, ne laissant pour tout témoignage qu'un curieux mécanisme.

Ou alors, peut-être que les aliens-atlantes ont voyagé dans un univers parallèle, en sont revenus avec le manuscrit de Voynich et se sont rendus au quinzième siècle avec une machine à remonter le temps pour le remettre aux Terriens, afin de leur faire une blague. Ensuite ils ont continué à faire les malins avec leur machine jusqu’à ce qu’elle leur pète à la gueule au large de la Grèce antique, ne laissant pour tout témoignage qu’un curieux mécanisme.

Les galères de demain

Publié: 12 mars 2015 dans Economie

Il est aujourd’hui communément admis que la propension de l’espèce humaine à brandir son admirable technologie comme un gourdin lui vaudra avant peu un viril retour de manivelle. Là où l’on cherche aujourd’hui à percer les secrets de la supraconductivité, on se livrera demain des guerres meurtrières pour la domination d’un lopin de terre cultivable ou pour voler le feu d’une tribu rivale.

Bien entendu, lorsque nos descendants vêtus de cuir et de fourrures arpenteront les ruines de nos villes pour y chasser la mouche géante ou le zombie mutant, il leur sera légitime de demander comment on en est arrivé là lorsqu’ils compareront leur monde à celui que vous, vénérable ancien de la tribu, leur décrirez au coin du feu, relatant la gloire des tours qui défiaient le ciel et le suspense insoutenable de Top Chef.

Remarquez, grâce à l'état islamique, la boucle est bouclée : on se souviendra de nous de la même manière que nous nous souvenons de l'Empire Romain ou de la Babylonie, à savoir une civilisation avancée mais décadente en guerre contre des barbares.

Remarquez, grâce à l’état islamique, la boucle est bouclée : on se souviendra de nous de la même manière que nous nous souvenons de l’Empire Romain ou de la Babylonie, à savoir une civilisation avancée mais décadente en guerre contre des barbares.

Et assez logiquement, vous leur répondrez que c’est parce que nous étions menés par des dirigeants cupides qui ne levaient pas le petit doigt pour régler les problèmes engendrés par leur course au profit. Or, ça ne sera pas tout à fait vrai : selon moi, ils lèvent bel et bien un doigt.

Nous construisons des barrages en carton

Début des années 2000, un consortium d’entreprises brésiliennes du nom d’Enercan obtient le droit de construire et d’exploiter un barrage dans le sud du pays, sur le fleuve Canoas. Le barrage de Campos Novos voit le jour peu après, ruinant l’écosystème proche, annihilant l’économie locale basée sur la pêche et enjoignant la population à aller se faire foutre, mais ailleurs.

Ajoutons également qu’ils n’avaient pas nécessairement procédé à tous les contrôles requis dans la vallée devant accueillir le barrage, oubliant notamment de vérifier si ladite vallée était apte à supporter son poids. Quelques mois à peine après la fin des travaux, un tunnel massif s’écroula sous la construction et d’inquiétantes craquelures apparurent à sa surface.

Trois fois rien.

Trois fois rien.

Dès lors, l’équivalent du contenu d’une piscine olympique se déversait à chaque seconde à travers la structure et fusait en direction d’un plus petit barrage situé en aval qui, fort heureusement, tint le choc. Il est estimé que si l’incident avait eu lieu durant la saison des pluies, la construction aurait été débordée et les habitants du coin auraient bu une énorme tasse ; Enercan, devant le risque que son bébé faisait courir aux populations locales, décida de ne rien dire du tout et entama (peut-être) quelques vagues travaux de réfection dans un silence cérémonieux tandis qu’un des responsables du projet indiquait qu’aucun dégât n’était visible sur la structure.

« Quoi, ça ? Non, c'est parfaitement normal ça, c'est des... des... c'est parfaitement normal ! »

« Quoi, ça ? Non, c’est parfaitement normal ça, c’est des… des… c’est parfaitement normal ! »

Dès 2007, ils remplirent à nouveau les réservoirs et voilà. Remarquez, si aujourd’hui le barrage tient toujours debout, c’est bien qu’ils ont dû trouver un truc pour sauver les meubles, donc on admettra que ça aurait pu être pire. Sauf peut-être pour Enercan, puisque l’ONU a entamé une procédure à l’encontre du consortium pour avoir bafoué les droits de l’Homme à peu près à chaque étape du projet.

Histoire vaguement comparable (en ce qu’elle inclut aussi un barrage, rien d’autre) à Mossoul, en Irak, où le plus grand barrage du pays, situé sur le Tigre, est tout simplement condamné à long terme, ce qui n’est pas si surprenant quand on sait qu’il a été construit sous Saddam Hussein et qu’il devait représenter la force de son régime (il ne faut pas tendre des perches pareilles à la fatalité). Son problème, c’est qu’il repose entièrement sur une base de gypse et de calcaire, qui sont des matériaux solubles. Donc la question n’est pas de savoir s’il va céder, mais quand. Et le résultat sera une vague de vingt mètres de haut qui déferlera sur Mossoul avant de s’en aller inonder une bonne partie du pays.

Le barrage est néanmoins capital à toute la province, alimentant d’innombrables foyers en électricité et irriguant toutes les cultures de la région, ce qui veut dire que ceux qui survivront à la vague devront encore se taper une famine. Aucun doute, c’est un pur barrage de dictateur !

On notera quand même que bien qu'initiée par un dictateur, la construction du barrage s'avéra moins vicelarde envers les populations des environs que celui du Brésil.

On notera quand même que bien qu’initiée par un despote, sa construction s’avéra moins vicelarde envers les populations des environs que celui du Brésil.

Autant dire que s’il devait céder, les pauvres Irakiens, qui dégustent déjà bien assez sans qu’on leur rajoute un tsunami et une famine, verront les dernières décennies de guerres et de tyrannie comme des vacances qui viendraient de se terminer ; aussi, de continuels travaux visent à renforcer la structure au fur et à mesure qu’elle s’affaiblit pendant qu’un autre barrage est construit en vitesse un peu plus bas.

Et bien entendu, comme si cela n’était pas assez tendu, la menace de l’état islamique plane sur l’ensemble du projet : le barrage de Mossoul est un lieu stratégique de premier ordre, celui qui le contrôle peut déclencher des famines à l’envi et renvoyer toute la région au moyen-âge en la privant d’électricité, perspectives tout à fait à même de plaire à des djihadistes. Ces derniers avaient du reste pris le contrôle des lieux le 7 août 2014 avant de décamper dix jours plus tard sous les balles des Kurdes et les bombes américaines.

Voilà qui devrait aider à relativiser la lente érosion du calcaire.

Voilà qui devrait aider à relativiser la lente érosion du calcaire.

Les océans virent à la décharge chimique

Dans les années qui suivirent la seconde guerre mondiale, plusieurs dirigeants de nations convinrent entre eux de diminuer leurs stocks d’armes bactériologiques afin de réduire les risques que ces machins représentent pour l’espèce humaine et l’environnement.

Et comme ils n’étaient finalement pas très au clair sur le principe de menace sur l’espèce et l’environnement, ils décidèrent de balancer leurs excédents à la baille : entre 1946 et 1972, plusieurs pays immergèrent des tonnes et des tonnes d’armes chimiques (les traiter autrement coûte cher) dans diverses zones près des côtes (le carburant pour bateaux coûte cher) qu’ils indiquèrent, dans le meilleur des cas, sur un ou deux registres jamais consultés par personne.

Et on sait très bien comment tout cela finira.

Et on sait très bien comment tout cela finira.

Depuis le début des opérations, plus de 500 personnes à travers le monde, essentiellement des pêcheurs, ont déjà dû être hospitalisées pour intoxication à l’arsenic après avoir ramené la mauvaise prise. Évidemment, la vie marine en prend pour son grade et le processus de traitement naturel sera infiniment long.

« L'espadon-zyklon, c'est pour Monsieur ? »

« L’espadon-zyklon, c’est pour Monsieur ? »

Comme ces largages ont été généralement faits à la va-vite et répertoriés n’importe-comment, il est aujourd’hui peu évident de savoir quelles parties des océans contiennent de larges fosses remplies de résidus de gaz mortels. Accident après accident, on arrive toutefois à se faire une idée plus précise de la situation et à indiquer sur les cartes des zones tellement vastes parce qu’approximatives que les pêcheurs n’ont pas d’autres choix que de les ignorer.

Un de ces jours, il y en a un qui va croire qu'on s'en prend à lui au moyens d'armes de destruction massive et on ne va pas rigoler.

Un de ces jours, il y en a un qui va croire qu’on s’en prend à lui au moyen d’armes de destruction massive et on ne va pas rigoler.

Le nuage brun d’Asie n’en est qu’à l’échauffement

Chaque année, entre janvier et mars, de grandes parties de l’Inde et du Pakistan se voient recouvertes d’un lourd nuage brun que les chercheurs baptisèrent « nuage brun d’Asie », préférant sans doute consacrer leur énergie à trouver les causes de sa formation plutôt qu’un nom original.

Appelons un chat un chat.

Appelons un chat un chat.

Sans surprise, on apprend que ce monstre, mesurant la superficie des États-Unis et épais de trois kilomètres, est formé par l’accumulation de tout ce que l’Inde et le Pakistan émettent comme gaz, plus encore une aimable participation d’une partie de la Chine ; et comme les pluies entre janvier et mars sont presque inexistantes en ces lieux, le nuage reste bien peinard au dessus des têtes des habitants.

Le fait de pouvoir se prétendre à Silent Hill n'est qu'une faible consolation.

Le fait de pouvoir se prétendre à Silent Hill n’est qu’une faible consolation.

Vous vous doutez certainement de l’impact que ce machin a sur la population et l’environnement : beaucoup de morts (avec des sources oscillant entre quelques centaines de décès par année dans toute l’Asie à deux millions rien qu’en Inde, merci internet), décalage des phénomènes climatiques sur lesquels repose tout l’agriculture locale, ainsi qu’un effet boule de neige sur la météo de la moitié du globe, précipitant la fonte des glaciers himalayens et générant des cyclones dans les régions alentours.

Bien entendu, le phénomène pourrait grandement se résorber si un effort conséquent était fourni dans les pays impliqués, tant par la population que par l’industrie et les dirigeants. Et comme cela n’arrivera pas parce que ces gens sont comme nous, à savoir qu’il veulent bien qu’un effort soit fait, mais pas faire un effort, le nuage brun d’Asie va poursuivre son bon travail, grandement participer au réchauffement climatique et à la fonte des neiges, générer inondations par-ci et sécheresses par-là et impacter des milliards de vies.

Nous gérons le nucléaire comme le reste

Des tragédies comme Tchernobyl et Fukushima incitent à la réflexion et plusieurs pays ont déjà manifesté leur intention de cesser de recourir à l’atome. Toutefois, il faut bien admettre que les alternatives « propres » ne sont pas légion et beaucoup pensent qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Après tout, une attention soutenue et des contrôles rigoureux devraient être à même de prévenir la casse et les drames seront évités si les dirigeants du nucléaire assument sérieusement leurs responsabilités et font passer la sécurité des nations avant leurs prof— crotte. Bon, tant pis.

Vous savez le point commun entre Tchernobyl et Fukushima : la communication sur les dangers liés à la catastrophe se limita à quelques vagues grommellements entrecoupés d’hésitations et de raclements de gorges et les risques en eux-mêmes furent considérablement minimisés.

« Les résultats de l'enquête sont tellement rassurants que nous autres de la direction de TEPCO allons fêter ça avec des vacances à l'autre bout de la planète pendant que les associations de jeunesses et sports finissent de nettoyer les lieux. »

« Les résultats de l’enquête sont tellement rassurants que nous autres de la direction de TEPCO allons fêter ça avec des vacances à l’autre bout de la planète pendant que les associations de jeunesses et sports finissent de nettoyer les lieux. »

Mais si l’on a appris une chose à propos du nucléaire, c’est que lorsqu’une tuile arrive, on sait qu’elle va durer un moment. Probablement plus longtemps que notre espèce d’ailleurs, donc si on règle le problème en deux coups de marteau, il ne fait aucun doute qu’il faudra écoper plus tard. C’est ce qui se passe en ce moment-même à Tchernobyl, où le sarcophage devant isoler le site corrompu commence à accuser le poids des années ; une structure attenante s’est même effondrée dernièrement à cause de la neige, tandis que d’autres rapports indiquent que les matériaux contenus au sein même du sarcophage risquent de s’enfoncer au fil des années dans le sol, jusqu’à atteindre des eaux souterraines. Le résultat, couplé à quelques théories du pire, serait une explosion de vapeur dont les conséquences seraient largement plus méchantes que celles des événements de 1986.

Heureusement, des travaux sont actuellement entrepris pour construire un second sarcophage propre à prévenir tout risque pendant encore un siècle ; ce sont les entreprises françaises Bouygues (vous savez, ceux qui délocalisent au Turkménistan) et Vinci (vous savez, les esclavagistes du Qatar) qui empochèrent le contrat, valant à 1200 ouvriers de travailler aujourd’hui à trois cents mètres du réacteur sans prime de risque aucune, puisque les lieux ont été jugés sûrs par des experts (de Bouygues et de Vinci).

Il s’agit d’un des plus monstrueux chantiers jamais entrepris et s’il est mené à bien, sans tergiverser sur tel ou tel point, Tchernobyl sera probablement sous contrôle pendant quelques temps. Mais on ne peut s’empêcher d’éprouver un petit doute, d’une part parce que Bouygues et Vinci et d’autre part parce que les travaux sont actuellement à l’arrêt dans l’attente de nouvelles garanties de l’Ukraine qui a, pour l’instant, d’autres priorités.

Tchernobyl n'est pas la seule menace nucléaire qui plane sur l'Ukraine.

Tchernobyl n’est pas la seule menace nucléaire qui plane sur l’Ukraine.

Bon, comme la journée des femmes approche, je me suis dit qu’il fallait que j’écrive un mot sur le sujet sinon j’allais encore me faire engueuler.

Seulement voilà, vous savez quoi ? C’est un sujet compliqué, et pas pour les bonnes raisons.

La physique quantique est compliquée, coloniser Mars est compliqué, installer un dolby-surround est compliqué, mais la question du féminisme est simple : il s’agit de considérer et de traiter les personnes des deux sexes de manière égale. Je ne crois pas qu’on nage en pleine utopie.

Et mon problème, c’est que je ne vois pas ce que je pourrais vous raconter qui n’ait pas déjà été dit et répété. Finalement, le sexisme appartient à cette espèce de fratrie de demeurés au sein de laquelle figure le racisme et toutes ces pseudo-doctrines qui reconnaissent une sorte de hiérarchie générale au sein de notre espèce. C’est une vision qu’il est difficile de changer, parce qu’elle ne découle plus de l’ignorance, mais de la mauvaise foi. La prise de conscience, elle a déjà eu lieu. Que pouvons-nous faire d’autre ?

Et quoi qu’on en dise, la cause avance : j’imagine par exemple que nous sommes aujourd’hui infiniment plus nombreux à nous prononcer radicalement contre la violence infligée aux femmes que radicalement pour. Progrès ! Mais il reste tellement de chemin ! Parce que le sexisme est un dieu moderne aux mille visages auquel notre société entière voue une culte de chaque instant : la publicité, la télévision, les clips vidéos, les médias en général, bref, la moitié de ce qui est issu de notre mode de vie est sexiste, mais ça, vous n’avez pas besoin qu’on vous le dise.

Lorsque vous lisez un article clamant que les hommes considèrent que les brunes sont plus profondes, plus intelligentes et meilleures au lit que les blondes, vous savez que vous vous roulez dans les stéréotypes. Lorsque l’on vous dit que les rédactrices qui pondent ce genre de trucs sont perçues comme des parangons de féminité épanouie, vous sentez qu’on n’avance pas dans la bonne direction (je pourrais en parler tant et plus, mais ça ne serait jamais aussi bien que ce brillant article de « c’est la gêne »). Lorsque Barack Obama nomme une nouvelle juge à la Cour Suprême et que les réactions fusent avec une véhémence hallucinante pour dénoncer son incompétence en se basant sur son physique, c’est qu’il y a un problème. Même chose lorsque Marion Bartoli remporte Wimbledon et qu’on lui dénigre ses mérites parce qu’on n’aime pas ses cuisses.

Enfin bon, je pense que vous voyez où je veux en venir.

Même cette ancienne marmite en fonte voit où je veux en venir.

Même cette ancienne marmite en fonte voit où je veux en venir.

Le truc, c’est que soit vous êtes d’accord et vous vous dites « et alors ? », soit vous ne l’êtes pas et vous êtes probablement en train de me traiter de pédé ou quelque chose approchant. Mais il me paraît peu vraisemblable que vous soyez en ce moment-même en train de reconsidérer intégralement votre faisceau de valeurs sous le coup de la révélation.

Donc, comme je le disais, je ne vais pas parler de tout ça. Je veux dire, pas plus que la page complète que je viens d’y consacrer. À la place, nous allons nous pencher sur quelques grandes femmes de l’Histoire, de celles qui ont marqué leur époque et qui nous indiquent que finalement, ça fait des millénaires que nous avons eu la preuve que la femme est tout aussi capable que l’homme de mener le monde à la prospérité, ou à la ruine.

Théodora, impératrice de Byzance

Certains contes nous relatent vie d’une quelconque clodo s’ébrouant dans la fange du bas peuple avant d’être remarquée pour sa grande beauté par quelque bon prince qui passait par là par hasard, lequel en fait son épouse et tous deux deviennent des monarques justes et miséricordieux.

L’histoire de Théodora diffère quelque peu puisqu’elle fut surtout remarquée pour son intelligence et parce qu’une fois sur le trône, elle et son mari ne devinrent pas exactement des monarques justes et miséricordieux. Par contre, sous leur influence, Byzance atteignit l’apogée de sa puissance.

Théodora est la fille d’un dresseur d’ours et d’une acrobate, fonctions certes honorables mais dont les débouchés vers le trône sont plutôt restreints. Réputée dégourdie et entreprenante, elle se lie d’amitié dans sa jeunesse avec le futur empereur Justinien, qu’elle séduit par sa vivacité d’esprit, son sens de la répartie et sa beauté (quand même). Elle-même exerce le métier d’actrice et danseuse – ce qui signifiait probablement un peu plus qu’actrice et danseuse – et est mère d’une petite fille, bref, le profil type de la future impératrice. L’empereur d’alors, Justin, modifie les lois (mais Justin peut) afin de permettre un mariage entre les deux tourtereaux, lequel eut lieu en 525, et l’amour triompha dans la glorieuse Byzance.

Véritable photo (de Cendrillon)

Véritable photo (de Cendrillon)

Deux ans plus tard, lorsque Justinien monte sur le trône, il nomme son épouse co-impératrice et lui octroie un pouvoir égal au sien sur la gestion des affaires d’état, faisant d’elle la femme la plus puissante que connaîtra l’empire en plus de mille ans d’existence. Le couple mène une vie de famille relax et traditionnelle, avec papa qui va travailler et maman qui gère la maison, mais en version, vous savez, « empereurs de Byzance » : donc pendant que Justinien s’en va botter le train des Vandales, des Perses et des Ostrogoths, Théodora administre les affaires impériales, ratifie des lois et traite avec les puissances étrangères, devenant au passage l’une des premières souveraines de l’Histoire à octroyer plus de droits aux femmes. Parmi ses décisions figurent notamment l’interdiction de la prostitution (décret accompagné de mesures efficaces pour aider les ex-prostituées à se reconvertir), la protection des comédiennes, une farouche opposition à la traite des blanches et l’alourdissement des pensions versées aux femmes lors des divorces.

Donc messieurs, lorsque vous considérez verser à votre ex-femme une pension alimentaire digne de Byzance, il se trouve que c'est exactement ça.

Donc messieurs, lorsque vous considérez verser à votre ex-femme une pension alimentaire digne de Byzance, il se trouve que c’est exactement ça.

Certains prétendent que Théodora tirait les ficelles de l’empire depuis les coulisses, mais ça n’est apparemment pas totalement exact : s’il faut relever un mérite à Justinien, c’est qu’il avait su s’entourer de personnages brillants, généraux, juristes, conseillers en qui il avait confiance et dont il écoutait attentivement les avis, et tant pis pour les qu’en dira-t-on. Parmi eux, quelques grands noms comme Bélisaire, Tribonien, Narsès et, bien sûr, Théodora : des personnalités remarquablement intelligentes, quoi que pas forcément toujours très scrupuleuses, comme on va le voir avant peu.

L’idée fixe de l’empereur est de redonner sa gloire passée à l’empire Romain en réunifiant toutes les provinces perdues aux bourrins au fil des derniers siècles. Il sera le dernier à tenter la manœuvre et y parviendra cahin-caha : au terme d’innombrables batailles remportées par ses brillants généraux, essentiellement Bélisaire et Narsès, la mer méditerranée était – plus ou moins – redevenue la piscine privée du peuple romain. Mais cette réunification ne devait pas durer longtemps. Du reste, au terme des campagnes, toute l’Italie était en ruine.

C'était partout le sud.

C’était partout le sud.

Dans le même temps, à Constantinople, dont l’empereur Constantin avait fait deux siècles plus tôt la ville la plus riche et la plus puissante au monde, Justinien construit, construit, construit. L’art et l’architecture Byzantine atteignent leur pinacle sous son règne, faisant crouler la capitale sous les merveilles en tête desquelles trône la basilique Sainte-Sophie.

Ça ne vous dérange pas que je vous parle essentiellement de Justinien dans cette rubrique pro-féministe sur Théodora ?

Ça ne vous dérange pas que je vous parle essentiellement de Justinien dans cette rubrique pro-féministe sur Théodora ?

Néanmoins, Justinien n’avait pas que des amis. Pour être plus précis, il était totalement cerné par des ennemis : son extraction douteuses – il avait hérité du trône par son oncle, lui-même ancien général nommé empereur par le Sénat à l’âge 65 ans – ainsi que celle, plus basse encore, de sa femme, de même que les impôts délirants qu’il levait pour financer ses armées, lui valaient de profondes inimités des toutes les classes sociales. En outre, rappelons que Byzance était un empire converti au Christianisme : on n’y persécutait pas les croyants comme à Rome, alors les croyants se persécutaient entre eux. Théodora, adepte d’une doctrine appelée le « monophysisme » alors considérée comme hérétique, limita grandement les injustices dont les siens étaient victimes, allant jusqu’à demander à Bélisaire, en train de guerroyer en Italie, de destituer un pape et d’en nommer un plus souple à sa place. Tout cela valut d’importantes levées de boucliers dans l’empire et essentiellement à Constantinople.

En 532, seulement cinq ans après le début du règne de Justinien, un soulèvement général, la Sédition Nika, précipita le trône au bord du gouffre : deux factions importantes s’unirent pour s’opposer à l’empereur, à savoir les « bleus », représentant la noblesse, et les « verts », issus de la frange populaire (voyez en ces couleurs une petite influence « hippodrome », on y viendra. En attendant, c’est bien pratique). Et l’on sait que lorsque l’aristocratie et l’extrême pauvreté s’allient contre un ennemi commun, c’est qu’on les a vraiment poussé à bout.

Normalement, les verts et les bleus s'affrontent, c'est dans la nature des choses.

Normalement, les verts et les bleus s’affrontent, c’est dans la nature des choses.

En quelques jours, pas moins du tiers de Constantinople est rasé, la ville est en flammes, les hommes de Justinien sont débordés, impuissants. L’empereur est paraît-il sur le point de partir par la petite porte et de se reconvertir en sabotier ou quelque chose comme ça, mais Théodora n’a pas l’intention de retourner à la case rue et trouve les mots pour raviver le courage de son époux.

Les soldats de Justinien étant dépassés, il n’y a pas trente six moyens de régler le problème : l’empereur cède. Il propose une trêve, engage des pourparlers. À sa demande (quoi que les théories divergent sur ce point), les émeutiers se regroupent dans l’hippodrome, monstrueux édifice central de la vie de Constantinople où jusqu’à cent mille personnes pouvaient assister aux très populaires courses de chevaux, ou parier sur les écuries, séparées en couleurs représentant diverses factions de la ville. Une fois que tout ce beau monde est regroupé à l’intérieur, tout occupé à s’échanger des high-five et à célébrer la victoire, Bélisaire, à peine rentré d’une campagne victorieuse contre les Perses, encercle le monument avec ses hommes et passe à l’attaque. Entre 30’000 et 80’000 civils sont massacrés.

Je ne sais pas si l'idée émanait de Théodora ou de Justinien, mais il fallait quand même des tripes pour décider de transformer l'hippodrome en boucherie. Et des tripes, il y en eut à foison.

Je ne sais pas si l’idée émanait de Théodora ou de Justinien, mais il fallait quand même des tripes pour décider de transformer l’hippodrome en boucherie. Et des tripes, il y en eut à foison.

Et ceci, mes bons amis, s’avéra suffisant pour mettre un terme à la révolte. Pour reconstruire la ville, Justinien finira de vider ses coffres mais Constantinople se relèvera plus belle et plus glorieuse que jamais, ce qui est conforme à ses habitudes, on en parlera à une autre occasion.

Théodora mourut en 548 d’une maladie ressemblant suspicieusement au cancer du sein. De dix-sept ans la cadette de l’empereur, elle décéda autant d’années avant lui et on dit que Justinien souffrit énormément de voir partir tout à la fois son amour, sa conseillère et son amie. Beaucoup de rumeurs circulent encore aujourd’hui sur l’impératrice, formant avec son époux l’une des figures les plus controversées de l’histoire byzantine ; certains continuent à voir en elle une nymphomane extravertie accroc au pouvoir menant l’empereur à la baguette, mais il est devenu généralement admis que s’il est possible que Théodora ait joui de la vie sexuelle la plus épanouie de toute l’histoire des impératrices, elle avait adopté un comportement irréprochable sitôt rapprochée de Justinien.

Princesse Zhao Pingyang de Chine

Un peu avant l’an 600, la Chine avait été propulsée première puissance asiatique par un âge d’or qu’elle devait à l’empereur Sui Wendi, lequel avait unifié une bonne partie du pays par l’exercice d’une subtile diplomatie appuyée par de vastes armées. Sous son règne, la paix s’installa dans l’empire du milieu, la Grande Muraille et le Grand Canal furent consolidés, la corruption diminua et l’économie du pays explosa. Nombre d’écoles, de routes et de digues furent construites et la nourriture s’entassa dans les greniers. Habitué aux travaux invraisemblablement coûteux en vies humaines, aux famines, aux pillages et aux guerres, le peuple Chinois retrouva le moral et prospéra.

Malheureusement, ce genre de choses ne durait jamais bien longtemps en Chine. Lorsque Sui Yangdi, le fils de Sui Wendi, reprit les rênes du pays à la mort de son père, il remit de l’ordre dans tout ceci et renoua avec les bonnes vieilles traditions. Il entreprit ce qu’on appellera la « politique du million » : la poursuite des travaux initiés par son père sur la muraille et le canal coûtèrent un million de vies humaines, tout comme les trois tentatives d’invasions de la Corée en 612, 613 et 614, au cours desquelles il lança à chaque fois un million d’hommes se faire écraser par les vaillants Coréens (aidés par leur alliée-du-moment, la malaria). Greniers et coffres étaient vides, le peuple avait faim, le désespoir régnait dans les cœurs, tout était rentré dans l’ordre.

Vous savez, amis Chinois, cela ne vous sert à rien de construire une muraille si son édification vous coûte plus d'hommes que les invasions qu'elle devait aider à repousser.

Vous savez, amis Chinois, cela ne vous sert à rien de construire une muraille si son édification vous coûte plus d’hommes que les invasions qu’elle devait aider à repousser.

Toutefois, parmi tous ses généraux incompétents et conseillers incultes, l’un d’entre eux, Li Yuan, sortait du lot : né paysan et engagé très tôt dans l’armée, il avait atteint le grade de général et gagné le respect inconditionnel de ses hommes. Logiquement, Sui Yangdi prit peur devant la capacité de cet homme à mettre un pied devant l’autre sans qu’un million de Chinois en meurent et l’envoya se perdre aux frontières, où il était attendu que Mongols et compagnie lui règlent son compte.

Or, après plusieurs tentatives virilement repoussées, Mongols et compagnie firent la paix avec Li Yuan, signèrent des traités et promirent de ne plus jamais attaquer la Chine avant de s’en aller panser leurs blessures. Pour Sui Yangdi, que la situation tendue en son pays avait rendu quelque peu parano, c’en était trop : une telle menace ne devait pas troubler plus longtemps la paix impériale. Il ordonna son arrestation et son exécution, signant dans le même temps son propre arrêt de mort.

Li Yuan, apprenant la nouvelle, se trouva dos au mur : soit il acceptait la sentence injuste de l’empereur, soit il engageait le combat et prenait sa place en cas de victoire. Déjà passé de paysan à général, il n’eut aucune raison de penser que le trône lui était inaccessible et se prépara au combat. La princesse Pingyang reçut alors un courrier de son père lui expliquant que comme il s’apprêtait à marcher sur la capitale à la tête de ses armées, il serait prudent de sa part de mettre un peu de distance entre elle et l’empereur. Il faut préciser que Pingyang était alors l’épouse du Chai Shao, le chef de la garde du palais impérial, et vivait à ce titre à la capitale, Chang’an, au sein même de l’armée que papa s’apprêtait à défier.

Ni une ni deux, elle lâcha son drapeau jaune et quitta la ville.

Ni une ni deux, elle lâcha son drapeau jaune et quitta la ville.

Lorsque la rébellion éclata, Chai Shao prit la tête d’une cavalerie de volontaires et s’en alla rejoindre Li Yuan. De son côté, la princesse Pingyang regagna ses terres natales où elle vendit toutes les possessions de sa famille pour lever une armée et acheter une énorme quantité de nourriture qu’elle distribua aux affamés. Sa cote de popularité explosa et elle se trouva à terme à la tête de septante mille hommes.

Cette armée, qui sera appelée sobrement « l’Armée de la Dame », convergera en direction des troupes de Li Yuan en soumettant chaque province qu’elle traversait à la manière d’une légion de nounours conquérant les terres et les cœurs par la seule force de l’Amour : les soldats ne pillaient pas et ne touchaient à personne, de la nourriture était distribuée aux civils et aux vaincus. Nombre de volontaires grossissaient les rangs de l’Armée de la Dame à chaque étape.

De son côté, l’empereur ne prenait pas trop la chose au sérieux. Vous pensez bien : une armée dirigée par une femme ne pouvait aller très loin. Toutefois, lorsque père et fille se réunirent, il commença à trouver l’expérience déplaisante. Conforme à ses habitudes, il envoya une vaste troupe se casser les dents sur ses rivaux.

Une fois aux portes de Chang’an, père, fille et beau-fils ne mirent pas longtemps à soumettre les défenseurs. De toute façon, Sui Yangdi avait déjà pris la tangente et rejoint quelque cache d’où il planifia sans doute ses prochaines défaites. Dans tous les cas, un assassin mit fin à ses jours quelques temps après.

Aucune légende asiatique n'est complète si elle n'inclut pas un ninja quelque part.

Aucune légende asiatique n’est complète si elle n’inclut pas un ninja quelque part.

Après sa victoire, Li Yuan s’assit sur son nouveau trône et le trouva à son goût. La dynastie Tang était née et sous son règne, la Chine allait connaître son deuxième âge d’or, le dernier selon certains dires. Malheureusement, la princesse devait décéder deux ans après l’ascension de son père, âgée seulement de vingt-trois ans. J’ignore les causes de sa mort, par contre on sait que lorsque son père lui offrit des funérailles impériales, certains dans l’aristocratie lui rappelèrent que les femmes n’ont normalement pas droit à ce privilège. En réponse, il leur énuméra ce que le pays devait à la princesse Pingyang et conclut qu’elle n’était pas une femme ordinaire.

Certes, Li Yuan. Mais un doigt tendu aurait suffi.

Ou il aurait pu faire construire une statue comme celle-ci devant leurs fenêtres. Les Chinois étaient des cadors en sculpture après tout.

Ou il aurait pu faire construire des statues comme celle-ci devant leurs fenêtres. Les Chinois étaient des cadors en sculpture après tout.

Didon, fondatrice de Carthage

Didon, fille de Bélos, sœur de Pygmalion, épouse de Sychée, est née au Pays des Noms Rigolos au neuvième siècle avant notre ère, dans l’ancienne cité phénicienne de Tyr, au Liban actuel. Son père en était le roi et Didon, alors nommée Élyssa, ou Élissa, ou Élissar, ou Élysha, ou Élisha, bref, rien qui n’explique comment on en est arrivé à « Didon », sa fille aînée (au roi, pas à Tyr).

Il est très difficile de trouver la véritable histoire de Didon tant les Grecs et les Latins sont passés par là. Déjà parce qu’ils l’ont rapidement propulsée à l’état de légende et vous connaissez la propension de ces gens à rajouter poivre et sel à leurs récits, et aussi parce qu’à terme, la cité de Carthage fut rasée jusqu’au dernier placard à balais par Rome, au terme de guerres qui avaient tourné les armées de l’empire en bourriques pendant des siècles puis d’un siège final qui s’était avéré horriblement coûteux en soldats romains. Rajoutez à cela qu’elle fut reconstruite cent ans plus tard sur ordre de Jules César puis habitée par de nombreuses factions au fil des siècles et vous comprendrez que seules de rares traces de ses débuts ont subsisté, dans l’actuelle banlieue de Tunis.

Contemplez, mortels, la magnifique et majestueuse Carthage !

Contemplez, mortels, la magnifique et majestueuse Carthage !

À la mort de Bélos, et selon sa volonté, la charge du royaume revint de manière égale à ses deux enfants, ce qui s’avéra être une mauvaise idée : d’une part parce que les habitants de Tyr goûtèrent peu à l’idée d’avoir deux dirigeants séparés – c’était sans doute assez compliqué avec un seul – et d’autre part parce que Pygmalion voyait le pouvoir comme son petit cheval en bois avec lequel il jouait étant gosse, à savoir quelque chose qu’il ne voulait pas partager avec sa sœur.

Et puis sa moitié de couronne tombait tout le temps par terre.

Et puis sa moitié de couronne tombait tout le temps par terre.

Pour accéder seul au trône, le conspirateur commence par faire assassiner Sychée, l’époux bien aimé d’Élysha, qui se trouve également être son oncle (prenez quelques secondes pour vous en faire une image). Sychée était un haut prêtre de Tyr, l’une de ses plus grandes fortunes et un homme extrêmement influent. Une fois débarrassé de lui, Pygmalion revendique sa fortune ; pour Élissa, dont l’autorité était déjà assez contestée avant qu’elle ne perde son puissant mari, ça commence à sentir le sapin.

Quelque temps après, le fantôme de Sychée apparaît en pleine nuit (salaud) devant Élissar, lui révélant le rôle de sa teigne de petit frère dans sa mort ainsi que l’emplacement de son trésor caché et l’enjoignant à mettre les voiles vers des cieux plus cléments.

 - « Élisha, tu es en danger ! » - « Sans blague ! »

– « Élisha, tu es en danger ! »
– « Sans blague ! »

Je devrais peut-être préciser que l’on tient ce dernier point du poète Virgile et pas d’un historien. Quoi qu’il en soit, d’une façon ou d’une autre, Élyssa apprit, ou du moins suspecta, que son frère avait commandité l’assassinat (« qui donc peut bien convoiter mon trône, voyons voyons… ») et, redoutant une guerre civile, décida que c’était un bon moment pour des vacances. Elle expliqua à son frère qu’elle voulait voyager pour ratifier de nouveaux traités de commerce, rassembla toute sa clique ainsi que les possessions et les suivants de feu Sychée et quitta la cité de Tyr.

Chemin faisant, elle fait balancer des sacs de sable à la mer, prétendant qu’ils contiennent les trésors de son époux qu’elle offrait aux dieux, afin d’abuser les espions de Pygmalion. Puis elle accoste à Chypre, y embarque de nombreuses vierges du temple d’Astarté qu’elle mariera à son équipage et lève l’ancre direction la Tunisie avec ses familles toutes neuves.

Sur place, elle est rapidement reçue par plusieurs rois locaux à qui elle offre son amitié et demande des terres. L’un de ses interlocuteurs lui répond qu’elle aura des terres, « autant que peut en contenir une peau de bœuf », puis se retourne vers ses collègues-rois et tous sont là « po-po-poooo » pendant que l’ingénieuse Élissa fait découper une peau de bœuf en fines lanières qu’elle joint bout à bout, obtenant une looongue ficelle dont elle se sert pour tracer les frontières de son territoire. Et les rois sont sciés.

« J'ai grandi à Tyr, cité commerçante prospérant depuis plus de mille ans, et vous pensez que je ne sais pas gruger un monarque ? »

« J’ai grandi à Tyr, cité commerçante prospérant depuis plus de mille ans, et vous pensez que je ne sais pas gruger un monarque ? »

Dans l’ensemble, il faut préciser que les nouveaux arrivants étaient les bienvenus aux yeux des cités locales (c’était un autre monde), qui se réjouissaient de nouvelles opportunités commerciales ; Élysha reçut des terres en échange d’un tribut honnête, l’amitié des autochtones ainsi qu’un nouveau nom, Didon, signifiant « la vagabonde » (ce qui veut dire que je vais arrêter de vous embrouiller avec les variantes de son prénom) (et que j’ai menti plus haut en disant qu’on ne savait pas d’où venait ce nom) (du reste, d’autres sources affirment que cela veut dire « fille brave », alors allez savoir). Enfin, Didon et sa suite, ainsi que les nombreuses personnes venues de toute part se joindre à eux, édifièrent en – 814 la cité de Qart-Hadas, « nouvelle vie », qui deviendra par la suite Carthage. Carthage, qui allait dominer la méditerranée pendant des siècles, qui serait la première ville de l’Histoire à construire des bâtisses à plusieurs étages pour y loger les trois cents mille habitants qu’elle abriterait à son apogée, qui allait devenir la première puissance militaire et commerciale du monde antique et d’où seraient issus des grands noms comme Hannon le navigateur ou Hannibal Barca.

Quant à Didon, la légende nous raconte que son esprit acéré et son immense beauté (je n’ai pas précisé qu’on la disait belle car je pensais que ça allait de soi pour une reine, mais il est vrai qu’on la disait spécialement belle, même pour une reine, alors voilà : elle était belle) lui valurent l’amour éperdu d’un roi local appelé Hiarbas (entre bien d’autres noms, mais on va s’en tenir à Hiarbas). Pour favoriser son peuple, la reine aurait accepté de l’épouser, mais se serait donné la mort dans les flammes pour ne pas trahir l’amour qu’elle éprouvait toujours pour son Sychée.

Il existe bien d’autres versions des derniers jours de Didon, parmi lesquelles une qui soutient que la reine aurait accepté le mariage avec le roi local sans l’arnaquer en se boutant le feu. Et vous savez quoi ? Didon, on lui a volé son trône, on a assassiné son mari, on a piétiné la volonté de son père et elle, en retour, n’a jamais songé à se venger. Plutôt que défendre ses droits bafoués avec le sang de ses partisans, elle a fait un pas en arrière, a évité une guerre civile et s’en est allée, avec tous ceux qui désiraient la suivre, gagner des terres par le commerce et la diplomatie puis fonder une ville qui deviendrait infiniment plus glorieuse que Tyr ; c’était une femme merveilleuse, alors j’espère que cette théorie est la bonne : qu’elle ait refait sa vie dans les bras musclés d’un gentil monarque, que tous deux vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.