Archives de juillet, 2015

Lorsque je suis convaincu d’avoir raison sur quelque chose, je suis prêt à faire beaucoup pour imposer mon point de vue, comme par exemple répéter le même argument en boucle jusqu’à ce que mes interlocuteurs cèdent à la fatigue. En cela, je suis comme à peu près tout le monde.

Par contre, et là aussi comme tout le monde, je ne suis pas forcément pressé de mettre mon intégrité physique en danger pour prouver quoi que ce soit ; il faut tout de même une dose velue de dévotion envers une cause pour se mettre en péril.

Et si l’Histoire retient volontiers les héros, soldats ou chercheurs s’étant sacrifiés pour ce en quoi ils croyaient, elle n’oublie pas pour autant le pauvre hère tombé pour prouver, au final, un point à la fois stupide et trivial.

Garry Hoy et la vitre incassable du vingt-quatrième étage

Juillet 1993, le brillant avocat Canadien Garry Hoy reçoit des stagiaires dans les bureaux de la Holden Day Wilson, importante étude de ténors du barreau établie à Toronto. Ladite étude occupait des locaux dans la Toronto-Dominion Bank Tower et le bureau de Hoy se trouvait au vingt-quatrième étage.

Retenez bien cette information, elle est importante pour la suite.

Retenez bien cette information, elle devient importante plus tard.

Comme il est bien entendu inimaginable d’intéresser des gens durant toute une journée en leur parlant uniquement de droit, Hoy avait l’habitude d’entretenir leur attention en leur démontrant que les vitres de la tour étaient indestructibles. Et quand je dis « démontrer », j’entends par là qu’il se jetait de toutes ses forces contre les fenêtres, et le bonhomme n’était pas un gringalet.

Aussi, en ce jour du 9 juillet 1993, Garry prend quelques pas d’élan, gratte le sol du sabot et se rue ventre à terre sur une des vitres de son bureau devant les jeunes spectateurs médusés. Elle tient bon. Peut-être parce qu’il pense que certains n’avaient pas bien compris, il reproduit la même manœuvre en y mettant un peu plus de force encore. La vitre tient toujours, contrairement au cadre de la fenêtre.

« Je suis bien content d'avoir eu raison. »

« Je suis bien content d’avoir eu raison. »

Avocat et vitre incassable chutent tous deux, happés par la force de la gravité et le sens de l’ironie de l’univers. Et bien que le malheureux Garry Hoy ne laissa aucun doute quant au fait que le verre était effectivement très très solide, il prouva dans le même temps qu’il était un pilier indispensable de la Holden Day Wilson, qui ferma boutique quelques années plus tard.

Bando Mitsugoro VIII ne craint pas le fugu autant qu’il le devrait

Bando Mitsugoro VIII était un éminent acteur kabuki japonais. Le fugu est un poisson dont le foie renferme un poison très violent.

Et là vous vous dites « mais ou veut-il en venir? »

Et là vous vous dites « mais ou veut-il en venir? »

En 1975, soit deux ans après avoir été désigné « trésor national vivant » par le gouvernement japonais, Bando met l’un de ces qualificatifs en jeu au cours d’une démonstration par laquelle il entendait prouver qu’il était immunisé au poison du fugu.

Poussé par ses tripes, son courage et peut-être un peu de saké, Bando Mitsugoro VIII se rend avec ses amis dans un restaurant de Kyoto pour y commander un plat constitué de quatre foies de fugu, à savoir largement de quoi tuer un homme quatre fois (ou foies). Lorsqu’on lui rappelle que la vente d’un tel article est interdite, il répond qu’il y est immunisé et l’on juge apparemment la justification suffisante : peu de temps après, sa gigantesque dose de poison côtoyait citron et sauce soja dans une jolie assiette disposée devant lui.

Comment pourrait-on se douter que cette bête est dangereuse ?

Comment pourrait-on se douter que cette bête est dangereuse alors qu’elle nous adresse un si joli sourire ?

Bando se met au travail et ingère voracement ce qui s’avéra naturellement être son dernier repas. Et comme le poison du fugu est plutôt lent, le malheureux eut largement le temps de reconsidérer rétrospectivement les choix de vie qui l’avaient amenés là où il était, en compagnie des pires amis du monde. Tout du moins peut-on espérer que le plat fut bon, mais la consolation est maigre.

Franz Reichelt conçoit le premier wingsuit

(Et le dernier avant longtemps)

Avec l’essor de l’aviation vers le début du siècle dernier, il devint de plus en plus pressant de trouver une formule destinée à amortir les innombrables chutes causées par les tâtonnements destinés à perfectionner cette nouvelle technologie si prometteuse. Déjà durant la première guerre mondiale, divers prototypes de parachutes permirent de sauver quelques vies, notamment celle d’un certain Hermann Göring.

Tous ensemble : merci, Science !

Tous ensemble : merci, Science !

En 1912, un tailleur français d’origine autrichienne se dit qu’après tout, il n’y avait pas de raison pour qu’un parachute soit nécessairement une encombrante toile pliée vingt-cinq fois dans un sac et conçut un prototype de costume-parachute alliant à la fois sécurité et élégance. Contemplez :

L'idée était qu'une fois au sol, le costume serve de chapiteau pour y tenir la conférence de presse.

L’idée était qu’une fois au sol, le costume serve de chapiteau pour y tenir la conférence de presse.

Outre l’évident atout esthétique, la tenue offrait divers avantages par rapport au parachute normal, notamment en se déployant plus aisément ou en effrayant les sauvages pour qui atterrissait en pleine brousse. Franz Reichelt pratiqua divers tests sur des mannequins, mais ils ne s’avérèrent jamais tellement concluants, probablement parce qu’une forme inerte et moins indiquée qu’une vraie personne pour manier un complexe appareillage en pleine chute. Aussi, au début du mois de février 1912, le tailleur annonce qu’il va sauter depuis le premier étage de la Tour Eiffel pour procéder au test ultime (littéralement). La mairie de Paris accepte, à condition qu’il balance un mannequin, parce qu’apparemment on ne s’était pas très bien compris.

Le 4 février, tandis qu’un Franz nerveux se tient sur la rambarde de la tour, aucun agent ne semble vouloir lui faire remarquer qu’il n’est pas à un mannequin et, après une quarantaine de secondes d’hésitation, le courageux tailleur se laisse tomber vers une fin fracassante.

Ne soyons pas trop durs envers le pauvre Franz, à cette époque nos connaissances en physique ne ressemblaient en rien à nos acquis actuels et, en s’inspirant des chauves-souris pour son costume, Franz tendit à oublier que nos morphologies sont radicalement différentes, notamment au niveau des masses corporelles. Et toute cette ignorance, il la compensa avec des tripes en acier trempé.

De tous les malheureux sacrifiés sur l'autel de la décision hâtive, il est celui qui se rapproche le plus de Batman. Nous sommes forcés d'en tenir compte.

De tous les malheureux sacrifiés sur l’autel de la décision hâtive, il est celui qui se rapproche le plus de Batman. Nous sommes forcés d’en tenir compte.

Il existe une vidéo de la scène, je vous l’épargne parce qu’on y voit quand même les derniers instants de la vie d’un homme, mais elle est trouvable sur Youtube si vous voulez rire un coup et que ça ne vous dérange pas d’aller en enfer. Elle fut du reste l’une des toutes premières vidéos virales de l’histoire, donc Franz n’est pas totalement parti pour rien.

Dans son testament rédigé la veille du saut, le brave tailleur explique où sa fortune doit aller, en mettant bien l’accent sur sa volonté que sa sœur ne touchât pas un rond. Donc on peut imaginer que durant sa chute finale, le malheureux ait visualisé sa frangine honnie en train de se marrer en apprenant la nouvelle.

Ceci est une photo de transition.

Ceci est une photo de transition.

Sinon vous ça va ? Vous avez sans doute remarqué que le rythme de parution avait diminué. Vous voulez savoir pourquoi ? Non ? C’est parce que je n’ai plus assez de temps. Croyez bien que j’imagine vos grands yeux pleins de larmes, mais vous savez, parfois, dans la vie, les blogueurs sont en rade. Mais la bonne nouvelle, par contre, c’est que vous pouvez désormais me lire périodiquement sur le blog Labière.ch, dédié à l’activité des microbrasseries en Suisse Romande.

Parce que je suis aussi en beer-geek, ce qui, vous l'admettrez, se lit sur mon visage.

Parce que je suis aussi un beer-geek, comme ici en pèlerinage à Munich où les gens ont des coutumes charmantes.

L’idée était de travailler sur un projet différent pour m’émanciper un peu de mon style actuel et réaliser d’autres expériences, chose à laquelle je m’attelle en écrivant exactement le même genre d’articles qu’ici, mais sur la bière. Sinon je participe aussi à des fanzines et des trucs et des machins, j’en reparlerai un peu plus tard quand ça prendra forme.

Mais enfin, donc j’ai moins de temps pour ce blog. Aussi, et vous serez peut-être d’accord, j’ai du mal à ne pas tourner en rond et je dois un peu plus me creuser le bonnet pour mes articles, donc on va essayer de s’en tenir à deux par mois désormais. Sauf maintenant. Là, je prends des vacances. Retour fin août ou début septembre, de toute façon les statistiques de lectures tendent à chuter comme le premier avocat canadien venu durant les mois chauds de l’année. Je vous souhaite à tous un chouette été et vous remercie pour le temps que vous consacrez à mes interminables péroraisons !