La prévention qui en fait trop

Publié: 4 février 2016 dans Sciences sociales

Ce n’est que lorsque vous êtes submergé par une nuée de sauterelles à la sortie du bureau de poste que vous réalisez à quel point vous étiez peu préparé à cette éventualité. Une société paraît toujours prise au dépourvu lorsque survient une tuile, du reste c’est pour cela qu’on tend à en parler beaucoup plus après qu’avant.

GODZILLA

Vous remarquerez que les gens sont toujours surpris lorsque Godzilla émerge de l’océan.

Nous sommes tous démunis face à l’imprévu et le moins que l’on puisse faire, c’est pratiquer de temps à autres nos procédures de sécurité ; chaque communauté doit pouvoir compter sur des protocoles efficaces et des gens aptes à les mettre en pratique, si possible sans qu’ils soient fous à lier.

Ce qui arrive malheureusement trop souvent.

Police anti émeute indienne contre enfants : check

Dans la ville indienne de Tumakuru, on applique un concept appelé le Mois de la Prévention du Crime, ce qui aurait tout d’une bonne idée si la chose n’incluait pas à la fois des simulations de combats et des enfants.

Mais n’allons pas plaindre tout de suite ces derniers (ça viendra bien assez vite) : pour les petits, substituer une démonstration de badass avec des flingues à un cours de géo ne pouvait pas être une mauvaise opération, aussi la bonne humeur était-elle de mise lorsque les costauds fanfaronnaient devant la petite foule conquise.

Badass 2

Voilà comment on donne des souvenirs aux gosses !

Comme la situation ne pouvait bien évidemment pas aller dans le bon sens, on décida vite de se servir des jeunes comme cibles factices ; diverses manœuvres de charges et de désossage de manifestants furent exercées, avant qu’on pousse un cran plus loin en tirant en l’air trois salves de balles en caoutchouc devant les petits yeux émerveillés.

C’est là qu’il convient de préciser que malheureusement, on n’avait pas jugé utile de précéder le Mois de la Prévention du Crime par le Mois de Qu’est-ce qu’elle fait la Gravité. Car alors que les enfants ravis applaudissaient les coups de feu en se bouchant les oreilles, les balles accomplirent le très prévisible tracé qu’on attend de tout objet soumis aux lois de la physique et piquèrent droit vers les petites têtes brunes. Aucune ne fut directement atteinte, mais les projectiles, en touchant le sol, éclatèrent en une multitude d’éclats ivres de rage qui fusèrent haineusement vers les jambes et les chevilles des alentours.

Inutile de narrer la joyeuse hilarité qui suivit ; la petite troupe s’évapora dans un concert de cris de terreur, révélant sept malheureux, dont cinq enfants, en train de se rouler au sol en hurlant. Tout bon agent de police vous dira qu’une demi-douzaine d’enfants en larmes et en sang va plus ou moins à l’inverse du résultat qu’on attend d’un exercice correctement mené, et les forces de l’ordre penaudes acheminèrent les victimes à l’hôpital sous les regards furieux de l’assistance.

Badass

« Je sais pas ce qui me retient de leur péter la gueule ! »

Les médias russes oublient des mots (« exercice », par exemple)

La Sibérie est une région si tourmentée par le froid que l’espérance de vie de ses habitants y est largement éclipsée par celle de ses bonhommes de neige.

bonhomme de neige (si)

C’est un peu leurs menhirs.

Ce n’est pas pour autant que ses citoyens ne doivent pas se préparer à d’autres catastrophes que celle de devoir y vivre ; en 2013, une simulation de fuite toxique contaminant les réserves d’eau potable est organisée par le gouvernement dans la ville de Tyumen.

À cet effet, un communiqué est envoyé aux médias locaux, lesquels réagirent en s’en foutant complètement. De son côté, un important journal national à gros tirage relaya l’information, en oubliant néanmoins de préciser qu’il s’agissait d’un exercice.

C’est ainsi que les 3.6 millions d’habitants de Tyumen prirent conscience qu’une intoxication au chlore avait déjà causé 55 décès dans leur patelin et contaminé 160 autres personnes, et, aussi, qu’un énorme nuage toxique se dirigeait à grande vitesse vers la ville et s’apprêtait à l’engloutir.

Vacances en Russie

Alors que dans les faits, aucune menace n’était à déplorer et les Russes pouvaient continuer à vivre leur quotidien planplan.

Dès lors, la ville disparut sous un nuage de panique qui, fort heureusement, s’en tint essentiellement aux réseaux sociaux. Les gens s’enfermèrent chez eux à double-tour en s’échangeant leurs dernières volontés sur Internet, jusqu’à ce que le média concerné fasse son petit erratum.

Du côté du ministère de la défense, qui avait organisé l’exercice, on rejeta toute responsabilité, arguant que si les citoyens s’étaient rendus sur leur site, ils y auraient certes trouvé le même rapport accablant que celui diffusé par la presse, mais qu’un lien menait sur une page où on pouvait y lire qu’il s’agissait d’une simulation.

Et vous savez quoi ? Je leur donne partiellement raison. Leur argument est complètement con, mais c’est vrai que si vous lisez une nouvelle annonçant que vous êtes en danger de mort, autant prendre le temps de vous intéresser aux liens, non ?

Une maison de retraite simule une prise d’otages

Un hospice du troisième âge n’a rien d’un château fort, c’est d’ailleurs pour ça qu’on y croise si peu de hallebardiers. Celui qui veut aller y jouer les durs a relativement peu de chances de se faire rétamer par une ceinture noire, problème auquel nos gouvernements semblent parfaitement indifférents. C’est inadmissible.

Eh bien à Carbondale, dans le Colorado, on a décidé de prendre le problème au sérieux ; ce n’est pas tout d’affirmer à l’embauche être capable de tuer trois blousons noirs à l’aide d’un déambulateur, encore faut-il avoir les tripes pour passer à l’acte en cas de situation réelle ; c’est ainsi que le paisible hospice de cette non moins paisible bourgade de six mille âmes connut une journée pleine de surprises.

Carbondale

Carbondale ; sa montagne, son bâtiment rouge.

Le 16 octobre 2013, l’infirmière Michelle Meekers est priée de s’occuper d’un zigue qui arpente le hall d’entrée, tout occupé à arborer un air louche. Interrogé par la jeune femme sur les motifs de sa présence, il affirme être là pour visiter un parent (ce qui aurait dû lui mettre la puce à l’oreille, ce n’est pas comme si ça arrivait souvent) et s’engage dans un couloir (ça aussi, tiens) avec la jeune femme sur ses talons. Puis il s’arrête devant une chambre inoccupée et demande à Michelle d’y entrer. À ce stade-là, cette dernière commence à trouver que ça fait pas mal de bizarreries et refuse d’obtempérer.

Le type réitère sa demande, cette fois-ci en insistant. Michelle, qui ne change pas d’avis comme ça, refuse. Le type réitère sa demande, cette fois-ci avec un flingue. Michelle, qui est héroïque, refuse encore. Le type réitère sa demande, cette fois-ci en avançant lentement vers la malheureuse. Michelle, qui, à tout prendre, préfère faire face à un homme armé dans un couloir plutôt que dans une pièce déserte, refuse toujours. Le type réitère sa demande, cette fois-ci en agitant son arme. Michelle, qui n’est finalement pas si héroïque mais qui garde toute mon admiration, éclate en sanglots, suppliant son agresseur de l’épargner en jouant la carte « j’ai une petite fille ».

Agresseur

J’aurais totalement fait pareil, ce qui eut été un hideux mensonge et je n’aurais même pas honte.

Borné, le type réitère sa demande, cette fois-ci en précisant que tout va bien, je suis de la police, c’est juste un exercice, on rigole, maintenant entrez dans cette putain de pièce s’il vous plaît. Michelle, dont le point faible a toujours été les arguments nonsensiques découlant de situations grotesques, cède et entre dans la chambre, priant pour en ressortir vivante.

Elle en ressortira effectivement vivante environ une demi-heure plus tard, après avoir aidé l’agent à trouver un autre otage et avoir cherché à alerter ses collègues par le nom de code « dr Grey », chose dont on peut douter de l’utilité compte tenu du fait que c’est le policier qui a dû le lui apprendre. À terme, Michelle est acheminée dans le bureau du directeur, ou l’ensemble du comité décisionnel, après un bref mot d’excuse pour cette facétie impromptue, passa les vingt prochaines minutes à lui relater tout ce qu’elle avait fait de travers durant l’exercice.

alpaga-maison-retraite

« L’alpaga s’en est nettement mieux tiré que vous ! »

Et parmi les actions qu’on lui reprocha de ne pas avoir entreprises, on trouve notamment crier, faire du bruit, renverser des objets pour attirer l’attention et autres choses que personne de sensé ne tente sous la menace d’une arme à feu.

C’est ainsi que Michelle Meekers fut pleinement formée aux protocoles de sécurité de son hospice, juste avant de donner sa démission et de porter plainte contre son employeur.

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