Justice et autres farces

Publié: 31 mars 2016 dans Sciences sociales

La Justice est un concept probablement encore plus ancien que l’Homme ; remontez donc le temps jusqu’à nos ancêtres simiesques et tentez de dérober sa banane à l’un d’eux, vous verrez s’il ne vous envoie pas sa justice en plein dans la gueule.

Lorsque nous avons évolué, notre vision de l’équité a fait de même et nos législations se sont articulées autour de nos modes de vie ; par exemple, les Mésopotamiens édifièrent leur civilisation en partie autour de la bière (auto-promo). Comment ces gens-là en vinrent-ils à inventer l’écriture en étant pétés comme des coings, nous ne le saurons jamais, toujours est-il que les premières lois écrites que l’on connaisse, le Code de Hammourabi, stipulent que celui qui sabote sa production de bière ou la coupe avec de l’eau sera noyé dans son propre breuvage.

Bud Light

Ça, typiquement, ça n’aurait jamais existé sous Hammourabi

Ce qu’on en retirera, c’est que la Justice est toujours plus ferme lorsqu’elle traite d’un point névralgique de la société. Un crime lié à la bière à l’époque n’était pas très loin d’un crime en rapport à l’argent aujourd’hui, d’ailleurs vous remarquerez qu’après la récente tragédie des subprimes, les responsables de la débâcle finirent, eux aussi, noyés sous le fric.

Seulement voilà, on voudrait voir la Justice comme une entité impartiale à laquelle personne n’échapperait, un peu comme un Kraken vigilant qui générerait beaucoup de paperasse ; mais comme avec tous les concepts, nous avons parfois des points de vue divergents à son sujet. Et il peut arriver à certains d’y faire appel pour les raisons les plus ridicules imaginables.

Batman vs Batman

Batman est une ville turque de 350’000 habitants, capitale de la province de Batman, proche du confluent entre la rivière Batman et le fleuve Tigre, qui est incidemment le confluent le plus badass au monde.

Confluent

Parabole

Je vous invite à relire une ou deux fois le paragraphe ci-dessus et à me dire si vous ne trouvez pas qu’il y a quelque chose qui y cloche.

Et bien le maire de Batman est bien d’accord avec vous ! En 2008, Hüseyin Kalkan décida d’entamer une procédure judiciaire à l’encontre de la Warner Bros, de Christopher Nolan et du sens commun pour avoir volé son nom à sa bourgade.

Batman(city)

La ville turque de Batman, que l’on dit sillonnée par un héros nommé « Gotham City ». (Ou peut-être « Gökan City »).

« Il n’y a qu’un seul Batman au monde », nous assène le véhément bourgmestre, signant ainsi l’une des citations les plus improbables à avoir jamais émané d’un politicien. Selon lui, la Warner et Christopher Nolan ont utilisé le nom de la ville sans son autorisation, causant par là de sérieux préjudices à ses habitants, notamment ceux qui cherchaient à exporter leurs produits. Ce qui est certainement vrai, si l’on considère que dissiper un quiproquo constitue un sérieux préjudice.

Morgan Freeman

« Laissez-moi résumer : vous pensez que votre client, un des hommes plus riches et les plus influents au monde, est en réalité une ville du sud-est de la Turquie, et votre plan et de porter plainte contre la Warner ? Bonne chance ! »

Kalkan trace également des corrélations entre l’appropriation du nom de sa ville et plusieurs meurtres non élucidés qui y ont eu lieu, ainsi qu’un taux anormalement élevé de suicides chez les jeunes filles. Et s’il a raison d’insister sur ce dernier point, il serait plutôt lié au penchant des locaux pour le « suicide d’honneur », tradition dont le nom seul laisse à penser que le vrai Batman ne perdrait pas son temps s’il voulait bien faire un petit crochet par là-bas.

Évidemment, on aurait pu demander à Kalkan s’il ne se foutait pas un peu du monde en poussant sa gueulante au moment où la franchise remportait la timbale avec The Dark Knight, mais il n’aurait probablement pas répondu, parce que cette même année, il était condamné à dix mois de prison pour promotion du terrorisme, chose qui mit fin à ses ambitions juridiques. Et bien que je ne sache pas trop ce qu’il faut penser d’une telle condamnation en Turquie, il n’est pas impossible qu’à l’instar de son légendaire homonyme, la ville de Batman ait connu des déboires avec une sorte de clown malfaisant.

RIAA vs Gertrude Walton

On sait qu’avec les téléchargements illégaux, il est devenu aisé de se substituer aux grands distributeurs en extorquant directement les artistes à leur place ; pour endiguer le phénomène, la Recording Industry Association of America (RIAA) décida dans les années 2000 de se la jouer Vlad l’Empaleur en misant sur la force de l’exemple : pas moins de vingt mille procédures pénales furent entamées à l’encontre de downloaders piqués au hasard.

Mais vraiment au hasard : parmi les suspects se trouvaient une fille de douze ans, un bon paquet de personnes qui n’avaient jamais rien téléchargé et une octogénaire nommée Gertrude Walton. Vous savez instinctivement que lorsqu’une puissance économique porte plainte contre une personne qui s’appelle Gertrude, c’est qu’il y a un malentendu quelque part.

Et en l’occurrence, Gertrude était décédée depuis environ un an lorsque la plainte fut déposée. Sa fille, qui n’avait probablement pas vu la chose venir, ajouta que feu sa mère n’avait jamais ne serait-ce que possédé un ordinateur.

Spiritisme

« L’accusée plaide non-coupable, votre honneur ! »

Qu’à cela ne tienne, l’affaire fut portée en même temps que bien d’autres devant la cour et la prévenue, figurez-vous, ne se présenta pas à son procès. Ce dernier fut néanmoins bien entendu prononcé et Mrs. Walton Senior, alias « Smittenedkitten », fut formellement accusée d’avoir téléchargé plus de 700 chansons de rock, pop et rap.

Granny

Regroupées dans une playlist qu’elle avait appelé « musique de sauvages »

Ensuite de quoi la défense (sa fille) produisit l’acte de décès et la RIAA, penaude, retira sa plainte, probablement après que le juge leur ait dit « mais c’est quoi votre problème, à la fin ? »

Jonathan Lee Riches vs le monde

Vous avez tous connu des bellicistes dans votre vie, ces gens tout le temps remontés qui traversent l’existence comme un terrain de rugby, prêts à se jeter de tout leur poids sur qui leur barrera la route.

Astéroïde

Ce sont les astéroïdes du genre humain.

On sait que ces oiseaux-là ne sont pas nécessairement des durs à cuir ; en règle générale, les vrais pratiquants d’arts martiaux tendent à être plutôt relax et bien souvent, le type qui brandit le poing au rade du coin est davantage mis en confiance par son taux d’alcoolémie que par ses années de Ju-Jitsu ; et si vous auriez de toute façon tort de répondre à leurs provocations, il est probable que pour beaucoup de bellicistes, le jour où ils trouveront enfin la bagarre coïncidera avec celui où ils la perdront.

Self défense

S’ils devaient écrire un guide de self-défense, il serait tellement mauvais que vous seriez mort avant d’avoir fini de le lire.

 

Et comme aujourd’hui les combats modernes se déroulent devant un juge, il n’y a pas de raison de ne pas trouver aussi des bellicistes sur ce terrain-là.

Arrive Jonathan Lee Riches. Depuis janvier 2006, Jonathan a déposé pas moins de 2’600 plaintes contre de multiples personnes, organisations, entreprises, concepts ou à peu près tout aspect de notre existence que notre vocabulaire a su définir par le biais d’un mot. Condamné pour divers délits, il remplit ses formulaires depuis sa cellule et, de là, lance ses avocats à la conquête du monde, ou le ferait s’il en avait, ou si ses actions n’étaient pas systématiquement déboutées.

Parmi les noms des défendants qui nous sont connus, on trouve notamment NASCAR et Rockstar Games qu’il accuse de l’avoir enjoint à conduire comme un bourrin, Bernard Madoff, Britney Spears, Serena et Venus Williams, George W. Bush, Steve Jobs, Adolf Hitler, les pirates somaliens, Nostradamus, Platon, les films Ghostbusters ou Poltergheist, les bananes Chiquita, la planète naine Pluton, le Che, tous les survivants de l’holocauste, les treize tribus d’Israël, la Tour Eiffel, l’Empire Romain, le moyen âge, les dieux nordiques, le Saint Graal, Jay Z, l’Airbus A380, Ford Motor et bien, bien d’autres.

Bien sûr, un coup d’œil à cette liste suffit pour comprendre que le vieux Riches a un problème, mais il n’est pas le seul : lorsque la construction d’un nouveau palais de justice à côté de la prison aboutit à une économie en frais de timbres, c’est qu’il est temps de faire quelque chose, et quelque chose fut fait : il y a quelques années, Jonathan se vit retirer son droit à l’aide financière que l’état octroie aux gens fauchés qui intentent une action en justice et depuis, c’est silence radio.

Harvey Taylor vs la police

Recherché en Floride pour actes d’ordre sexuel sur un mineur, Harvey Taylor se réfugia dans un bled perdu du Maine pour échapper à la justice, car le seul facteur qui détermine si on retrouve un fugitif est le nombre de kilomètres qui le sépare du lieu de son crime.

Lorsqu’il fut appréhendé malgré tout, Harvey prit ses jambes à son cou et alla se perdre (au sens propre) dans une forêt. Une fois isolé au milieu des immensités sauvages du nord de l’Amérique, il put reprendre sa vie loin de ses poursuivants et, tant qu’à faire, de la civilisation.

Maine

« à moi la liberté ! »

Seulement voilà, si le climat de sa Floride natale lui aurait permis ce genre de fantaisies, celui de l’état du Maine requiert un peu plus de préparation avant de se lancer à la belle étoile, d’autant qu’on était en plein hiver ; à peine gambadait-il parmi les arbres qu’une tempête de neige se leva, amenant un froid tel qu’il en vint bien vite à regretter les couvertures, la sécurité et le chauffage des cellules américaines.

Rapidement très mal en point, Harvey se tourna vers Dieu et lui demanda une intervention divine (alors qu’Il venait probablement de le faire avec la tempête) pour le sortir de cette situation. Il fut peut-être entendu, car c’est en suivant un oiseau qui volait d’arbre en arbre qu’il parvint à un bled, où il fut secouru puis envoyé au trou.

Néanmoins, Taylor avait passé trois jours perdu en plein blizzard et, les engelures aidant, y laissa deux ou trois orteils ; il décida donc de faire la seule chose raisonnable, à savoir porter plainte contre l’inspecteur chargé de le retrouver dans le Maine, parce que s’il l’avait attrapé plus vite, il n’en serait pas là.

Il déclara donc qu’il déposerait une plainte officielle sitôt qu’un avocat accepterait l’affaire. À ma connaissance, l’histoire ne va pas plus loin.

commentaires
  1. […] plus léger, Justice et autres farces, la dernière facétie en date de Et si on disait du […]

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